E. Macron et le Rwanda : quelles conséquences juridiques ?

 

Cet article a été publié dans le cadre du partenariat entre BDIP et la Clinique juridique de Lille - Pôle droit international.

Le 27 mai 2021, le Président de la République française E. Macron a reconnu, au cours d’une conférence de presse au Rwanda, « une responsabilité accablante de la France » concernant le génocide des tutsis de 1994[1]. Des propos lourds de sens sur des faits vieux de 27 ans[2], mais dont les conséquences restent éminemment contemporaines. Néanmoins, la subtile distinction entre responsabilité et excuses dénote de l’ambiguïté de l’intervention du Président français.

Dans les années 1990, le climat politique du Rwanda est tendu. L’opposition viscérale entre les ethnies hutu et tutsi débouche sur une guerre civile[3], initiée principalement par le régime au pouvoir dominé par les hutus, et soutenue par la France, à l’encontre du Front patriotique rwandais (FPR), dirigé par l’actuel Président Paul Kagamé. Le FPR cherche la réintégration des tutsis exilés au sein du territoire rwandais, alors que le gouvernement rwandais entreprend une épuration ethnique. Pour enrayer cette recrudescence de la violence, les négociations entre les deux parties belligérantes - sous l’égide des Nations Unies - aboutissent en août 1993 aux Accords d’Arusha[4]. Ces derniers revêtent un triple objectif : une dissolution de tous les groupes armés et groupuscules rwandais pour une intégration unique[5], hormis ceux se déclarant ouvertement anti-tutsis ; un retour de l’ensemble des exilés tutsis sur le territoire rwandais[6] et un cessez-le-feu et institution d’un État de droit au Rwanda[7]. Pour veiller au respect de ces accords, la résolution 872[8] du 5 octobre 1993 du Conseil de sécurité met en place la MINUR, la mission internationale des Nations Unies au Rwanda. Cependant, ce début de processus de paix n’empêchera pas la perpétration du génocide. L’engrenage mortifère commence le 6 avril 1994, date de l’assassinat du Président J. Habyarimana par le FPR, entraînant sa succession par son Premier ministre J. Kambanda, principal artisan de la politique génocidaire à l’encontre des tutsis, entre le 7 avril et le 17 juillet de la même année. Selon les Nations Unies[9], plus de 800 000 rwandais ont perdu la vie dans des circonstances atroces au cours de ces trois mois.

Bien que vieux de 27 ans, le génocide reste encore vif dans l’esprit de plusieurs générations de rwandais, et marque encore plus globalement la communauté internationale. C’est pourquoi le Président E. Macron s’est rendu à Kigali en mai 2021 afin de faire état des conclusions de deux rapports commandés par la France en 2019 pour mettre en lumière la question de la responsabilité du gouvernement de F. Mitterrand à cette époque. Certaines voix s’élèvent depuis plusieurs années pour qualifier la France de complice dans ce génocide du fait de leur inaction. Publiés en avril 2021, ces rapports concluent sans équivoque à une certaine responsabilité de la France dans le génocide des tutsis. D’un côté, la commission dite « Duclert » devient la première institution française à reconnaître l’implication de l’Hexagone, la qualifiant de « lourde et accablante »[10]. En effet, le rapport décrit le comportement des autorités comme suit : « En France, à l'inquiétude de ministres, de parlementaires, de hauts fonctionnaires, d'intellectuels, il n'est répondu que par l'indifférence, le rejet ou la mauvaise foi »[11]. De l’autre, le cabinet d’avocats américain Levy Firestone Muse apporte des conclusions encore plus à charge à l’encontre de l’État français. À la différence du rapport Duclert, il se distingue en attribuant à la France la « lourde responsabilité d’avoir rendu possible un génocide prévisible »[12], en plus de mettre en lumière l’ensemble du travail de « camouflage »[13] des sources officielles sur les 25 dernières années. De fait, le rapport américain affirme la responsabilité directe de la France, le Président F. Mitterrand ayant soutenu sans réserve le régime en dépit des nombreuses informations laissant transparaître l’œuvre génocidaire du régime.

Cette intervention très attendue fait suite à des années de tensions et de relations ambigües entre Paris et Kigali. Le précédent rapport de 2008[14] y avait fortement contribué en parallèle des ouvertures d’enquête en France à l’encontre de proches du Président P. Kagamé. Poursuites ayant finalement abouti à un non-lieu en juillet 2020[15].

25 ans après ces atrocités, certains commanditaires ou hauts responsables sont toujours en fuite et activement recherchés par la justice française, à l’instar de F. Kabuga, financier présumé du génocide qui fut arrêté en France en mai 2020. Bien que le TPIR ait fermé ses portes en 2015[16], le mécanisme résiduel est toujours actif à La Haye[17]. Son Procureur, S. Brammertz, est déterminé dans la poursuite des derniers génocidaires. Ce fut l’objet, le mois dernier, de son intervention d’une rare virulence devant le Conseil de sécurité des Nations Unies dans laquelle il dénonce l’Afrique du Sud comme un refuge à génocidaire[18]. Cette arrestation de F. Kabuga fait directement écho à cette récente prise de parole d’E. Macron, les conséquences juridiques du génocide rwandais sont toujours présentes et la France s’en trouve être un des principaux acteurs avec l’aide des États européens dans le cadre du Réseau génocide européen et des coopérations policières et judiciaires entre États. C’est d’ailleurs en tant que devoir de pardon que le Président P. Kagamé a exprimé son souhait que la France retrouve et juge tous les suspects du génocide encore présents sur son territoire.

Sans aucun doute cette intervention d’E. Macron restera plus importante dans l’histoire du génocide et dans la relation franco-rwandaise que dans la judiciarisation de cette atrocité. La dernière intervention française remonte au mandat de l’ancien Président N. Sarkozy qui avait frileusement reconnu que des erreurs avaient été commises par la France[19].

Par cette demande de pardon et cette reconnaissance de responsabilité, sans pour autant présenter clairement des excuses, E. Macron contribue à sa volonté de placer la France et l’Europe comme acteur déterminant du système international et par incidence, de la justice pénale internationale.

 

 

[1] Discours du Président de la République française au mémorial du génocide perpétré contre les tutsis, 27 mai 2021.

[2] La période officielle de perpétration du génocide s’étale du 7 avril au 17 juillet 1994.

[3] Opposant la FPR aux FAR, la guerre civile rwandaise, conflit armé non international, se déroula du 1er octobre 1990 jusqu’au 18 juillet 1994, marquant la fin du génocide des tutsis.

[4] Accord de paix d’Arusha entre le gouvernement de la République rwandaise et le front patriotique rwandais, annexe 30, août 1993.

[5] Protocole d’accord entre le gouvernement de la République rwandaise et le Front patriotique rwandais sur l’intégration des forces armées des deux parties, signé à Arusha le 3 août 1993.

[6] Protocole d’accord entre le gouvernement de la République rwandaise et le Front patriotique rwandais sur le rapatriement des réfugiés rwandais et la réinstallation des personnes déplacées, signé à Arusha le 9 janvier 1993.

[7] Accord de cessez-le-feu de N’Sele entre le gouvernement de la République rwandaise et le Front patriotique rwandais tel qu’amandé à Gbadolite le 16 septembre 1991 et à Arusha le 12 juillet 1992, signé à Arusha le 12 juillet 1992 ; Protocole d’accord entre le gouvernement de la République rwandaise et le Front patriotique rwandais relatif à l’État de droit, 18 août 1992.

[8] Conseil de sécurité des Nations Unies, résolution 872, 5 octobre 1993, S/RES/872.

[9] Conseil de sécurité des Nations Unies, Lettre datée du 15 décembre 1999 adressée au Président du Conseil de sécurité par le secrétaire général, 16 décembre 1999, S/1999/2757, p.3.

[10] Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des tutsi, « La France, le Rwanda et le génocide des tutsi (1990-1994) », Armand Colin, Paris, 26 mars 2021, p. 973.

[11] Ibidem.

[12] Cabinet Levy-Firestone-Muse, « Un génocide prévisible : le rôle de l’État français en lien avec le génocide contre les tutsi au Rwanda », Washington D.C., 19 août 2020, p.29.

[13] Ibidem, p.30.

[14] Commission nationale indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994, « Rapport Mucyo », 5 août 2008.

[15] Travaux de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des tutsi, 8 juillet 2020.

[16] Conseil de sécurité des Nations Unies, lettre datée du 17 novembre 2015, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Président du Tribunal pénal international pour le Rwanda, S/2015/884, p.39, §167.

[17] Conseil de sécurité des Nations Unies, résolution 1966 (2010), 22 décembre 2010, S/RES/1966, p. 2, §1.

[18] Voir en ce sens : E. RUGIRIRIZA, « BRAMMERTZ : «  L’Afrique du Sud est un refuge pour les génocidaires en fuite » », justiceinfo.net, 14 juin 2021.

[19] Conférence de presse conjointe de MM. Nicolas Sarkozy, Président de la République française, et Paul Kagamé, Président de la République du Rwanda, sur les relations franco-rwandaises.

 Reda Ghaffouli, Nathan Lille &  Sarah Thomas

Reda Ghaffouli

Réda est actuellement en fin de cycle de master Conflits et développement à Science Po Lille. Il est également titulaire d’une licence de droit à l’université de Lille. Il souhaite effectuer son stage de fin d’études en ONG dans le domaine du plaidoyer en droits humains et droit international humanitaire.

Nathan Lille

Titulaire d’une licence de science politique québécoise et d’un master de droit public, Nathan est en fin de Master 2 Justice pénale internationale à l’université de Lille. Il souhaite débuter une thèse de doctorat en droit international et européen afin de replacer l’importance du rôle de l’Union européenne dans le système international.

Sarah Thomas

Sarah achève son diplôme de master de droit de l’Union européenne à l’université de Lille. Auparavant étudiante à l’université de Montpellier, elle a obtenu une licence en droit public. Sarah souhaite par la suite s’orienter vers le droit de l’environnement. En effet, elle souhaite effectuer un stage de fin d’études au sein d’une organisation européenne de préservation de la biodiversité afin d’étudier l’urgence climatique actuelle.

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