Cour pénale internationale: autorisation de l’ouverture d’une enquête dans la situation en République islamique d'Afghanistan
Remarque préliminaire : Les décisions rendues dans la situation en République islamique d'Afghanistan n’ont pas encore été traduites en français au jour de la publication de ce billet.
Le 12 avril 2019, la Chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale (CPI ou la Cour) rendait une décision très controversée dans laquelle elle refusait au Procureur l’autorisation d’ouvrir une enquête dans la situation en République islamique d'Afghanistan au motif qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice.
Le 5 mars 2020, suite à l’appel interjeté par le Procureur, la Chambre d'appel a conclu que la Chambre préliminaire a commis plusieurs erreurs et a décidé à l'unanimité d'autoriser le Procureur à ouvrir une enquête.
Erreur relative à l’étendue de l’examen par la Chambre de la demande d’autorisation d’ouvrir une enquête
La CPI peut exercer sa compétence à l’égard d’un crime international dans trois situations : (1) si la situation est déférée au Procureur par un État partie, (2) si la situation est déférée par le Conseil de sécurité des Nations unies, ou (3) si le Procureur a ouvert une enquête de sa propre initiative (proprio muto), ce qui est le cas de la situation en République islamique d'Afghanistan [article 13 du Statut de Rome].
Dans la troisième situation, le Procureur doit présenter à la Chambre préliminaire une demande d'autorisation pour ouvrir une enquête [article 15(3) du Statut de Rome]. En application de l’article 15(4) du Statut de Rome, pour décider si elle doit autoriser l'ouverture de l'enquête, la Chambre préliminaire doit déterminer s'il existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête et si l'affaire semble relever de la compétence de la Cour.
Selon une jurisprudence constante des Chambres préliminaires initiée dans la situation en République du Kenya, pour autoriser une enquête sur la base de l’article 15(4) du Statut de Rome, la Chambre préliminaire considérait qu’elle devait examiner les facteurs suivants : (1) la compétence de la Cour, (2) la recevabilité de l’affaire (complémentarité et gravité), et (3) les intérêts de la justice. Pour justifier l’étendue de son contrôle, le Chambre se référait à la Règle 48 du Règlement de procédure et de preuve (RPP) qui prévoit que pour déterminer s’il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête, le Procureur doit se fonder sur les critères posés à l’article 53(1)(a) à (c) du Statut de Rome [Décision en application de l'article 15 du Statut de Rome relative à l'autorisation d'ouverture d’une enquête dans le cadre de la situation en République islamique d'Afghanistan (CP1) paras 29-30].
Cette jurisprudence a été soumise, pour la première fois dans la présente affaire, au contrôle de la Chambre d’appel. Cette dernière conclut que la Chambre préliminaire a commis une erreur dans son interprétation de l'article 15(4) du Statut de Rome concernant les critères du contrôle de la Chambre [Arrêt relatif à l’appel contre la décision relative à l'autorisation d'ouverture d’une enquête dans le cadre de la situation en République islamique d'Afghanistan (CP1), para. 25].
La Chambre d’appel explique que l'article 53(1) du Statut de Rome ne s’applique qu’aux situations déférées par le Conseil de Sécurité ou un Etat partie [CA, para. 29], ce qui n’est pas le cas des situations régies par l'article 15 du Statut de Rome (qui définit la procédure à suivre par le Procureur pour ouvrir une enquête de sa propre initiative). Dans ce type d’affaires, la Chambre d’appel précise que l'exercice du contrôle judiciaire, à ce stade précoce de la procédure, doit se limiter à examiner s'il existe une base factuelle raisonnable pour procéder à une enquête, à savoir si des crimes ont été commis et si les affaires potentielles découlant d'une telle enquête pourraient relever de la compétence de la Cour [CA, para. 34].
La Chambre d’appel remet ainsi en cause la jurisprudence selon laquelle les critères de « complémentarité » et de l’«intérêts de la justice» énoncés à l'article 53(1) (b) et (c) du Statut de Rome doivent être examinés par la Chambre préliminaire lors de son contrôle en application de l’article 15(4) du Statut de Rome [CA, paras 37-39].
La Chambre d'appel conclut que la Chambre préliminaire a commis une erreur en décidant qu’une enquête sur la situation en Afghanistan à ce stade ne servirait pas l'intérêt de la justice [CA, para. 46].
Erreur relative à l’étendue de l’autorisation d’enquêter
Avant de procéder à une évaluation de la demande du Procureur, la Chambre préliminaire a tenu bon de détailler son rôle dans le contrôle de la demande d’autorisation et l’étendue de son autorisation d’enquêter.
Elle précise qu’elle est investie d'un rôle spécifique et essentiel de filtrage pour éviter de procéder à des « enquêtes injustifiées, frivoles ou à motivation politique qui pourraient avoir un effet négatif sur sa crédibilité » [CP1, paras 30-31 et 39, traduction libre].
Elle explique que l'étendue du pouvoir d'enquête du Procureur est limitée aux incidents spécifiquement mentionnés dans sa requête et autorisés par la Chambre. Contrairement à la position du Procureur, elle soutient que l’Accusation n’est pas autorisée à étendre ou à modifier son enquête au-delà des incidents spécifiquement mentionnés, sauf incidents qui peuvent être considérés comme ayant un lien étroit avec un ou plusieurs des incidents spécifiquement autorisés par la Chambre préliminaire [CP1, paras 40-41]. Si elle souhaite étendre le nombre d’incidents, le Procureur devra faire une nouvelle demande d'autorisation en vertu de l'article 15.
Cette position n’a cependant pas été confirmée en appel. La Chambre d’appel conclut que le Chambre préliminaire a basé sa décision sur une erreur de droit et une mauvaise compréhension de son rôle au titre de l'article 15 (4) du Statut de Rome en jugeant que son autorisation était limitée aux incidents mentionnés dans la demande et à ceux qui y sont étroitement liés [CA, para. 64].
Mettant en avant les pouvoirs limités du Procureur à ce stade, la Chambre d’Appel considère que restreindre l'enquête autorisée aux informations factuelles obtenues lors de l'examen préliminaire entraverait à tort la fonction de recherche de la vérité du Procureur [CA, paras 59-61].
Elle explique que la proposition de la Chambre préliminaire aurait un effet préjudiciable significatif sur la conduite des enquêtes pour trois raisons :
1. Il serait impossible pour le Procureur de déterminer, au cours de l'enquête, quels incidents pourraient être considérés comme «étroitement liés» à ceux déjà autorisés. Le Procureur serait tenu de présenter des demandes répétées d'autorisation d'enquête si de nouveaux faits étaient découverts.
2. Un tel contrôle continu de la portée de l’enquête du Procureur par la Chambre préliminaire serait contraire à l'indépendance du Procureur.
3. Les délais additionnels liés aux demandes répétées d’extension causeraient des retards de procédure et compromettraient l’enquête du Procureur [CA, para. 32].
La Chambre d'appel considère donc que les exigences de l'article 15(4) du Statut de Rome serait respectées en accordant l'autorisation dans les termes demandés par le Procureur, qui définissent suffisamment les paramètres de la situation [CA, para. 62].
Erreur relative à la compétence matérielle de la CPI
Dans la présente affaire, le Procureur demandait l'autorisation d'enquêter sur des crimes qui auraient été commis sur le territoire de l'Afghanistan, mais également sur d'autres crimes présumés commis par des membres de la CIA dans des centres de détention situés sur le territoire d'autres États parties à l’encontre de victimes capturées en dehors de l'Afghanistan.
Dans le cadre de son contrôle, la Chambre préliminaire a évalué si ces crimes présumés relevaient de la compétence de la Cour.
Note : bien que la Chambre préliminaire ait adressé ce point sous le chapitre « Compétence ratione loci », la question de savoir si les crimes commis hors d’Afghanistan relèvent de la compétence matérielle de la Cour dans la mesure où ces derniers ont été commis sur le territoire d’un Etat partie. Le problème concerne le lien de ces crimes avec le conflit armé, position confirmée par la Chambre d’appel [CA, para. 71, ndbp 103].
La Chambre préliminaire a conclu que les incidents que le Procureur a attribué à la CIA ne relevaient pas de la compétence de la Cour «puisqu'ils se seraient produits contre des personnes capturées ailleurs qu'en Afghanistan» et n'avaient pas de lien avec le conflit armé interne, condition nécessaire pour déclencher l'application du droit international humanitaire [CP1, paras 55-56, traduction libre]. La Chambre préliminaire a noté que les exigences «dans le contexte de» et «associées à» un conflit armé ne sont pas subsidiaires mais cumulatives, indiquant que« la formulation et l'esprit de l’article 3 commun aux Conventions de Genève sont univoques en ce qu’ils limitent sa portée territoriale aux frontières de l’État où les hostilités se déroulent réellement » [CP1, paras 52-53, traduction libre].
La Chambre d’appel souligne que la Chambre préliminaire a commis une erreur de droit dans la mesure où l’article 3 commun n'a pas la fonction de limiter l'applicabilité de la disposition à l'État sur le territoire duquel se produit le conflit armé mais décrit simplement les conditions dans lesquelles l’article s’applique [CA, paras 73-74]. La Chambre d’appel conclut qu’il est seulement nécessaire d’évaluer si la capture de la victime et l'acte criminel présumés commis en dehors de l'Afghanistan ont eu lieu dans le contexte du conflit armé dans cet État et y ont été associés [CA, para. 76].
Elle autorise donc l’ouverture d’une enquête et conclut que :
1. L'article 15 (4) du Statut exige qu'une chambre préliminaire détermine s'il existe une base factuelle raisonnable pour que le Procureur ouvre une enquête, à savoir si des crimes ont été commis et si le ou les affaire(s) potentielle(s) résultant d'une telle enquête releverai(en)t de la compétence de la Cour. La chambre préliminaire n’est pas appelée en vertu de l’article 15 (4) du Statut à examiner l’analyse par le Procureur des facteurs visés à l’article 53 (1) a) à c) du Statut.
2. L’autorisation d’ouverture d’une enquête par la chambre préliminaire ne devrait pas être limitée aux incidents spécifiquement mentionnés dans la demande du Procureur au titre de l’article 15 (3) du Statut et aux incidents qui sont «étroitement liés» à ces incidents. [Traduction libre]
Procédure
Le 20 novembre 2017, le Procureur a déposé une demande d'autorisation d'enquête sur des crimes qui auraient été commis en République islamique d'Afghanistan depuis le 1er mai 2003, ainsi que sur d'autres crimes présumés commis sur le territoire d'autres États parties depuis le 1er juillet 2002. La demande concernait les Talibans et les groupes affiliés, les Forces nationales de sécurité afghanes, et les forces armées des États-Unis d'Amérique et sa Central Intelligence Agency (CIA).
Pour plus d’informations, veuillez consulter le site de la CPI.
Les opinions exprimées dans ce billet sont celles de l'auteure et ne reflètent pas le point de vue de son employeur.