Allemagne: début du procès à l’encontre d’Anwar Raslan et Eyad Al-Gharib, anciens officiers des services de renseignements syriens

Le procès à l’encontre d’Anwar Raslan et d’Eyad Al-Gharib, anciens officiers des services de renseignements syriens, a démarré le 23 avril 2020, à la Haute cour régionale de Coblence, en Allemagne, où ils sont jugés pour crimes contre l’humanité.

Ce procès qui se tiendra du 24 avril au 13 août 2020, selon le calendrier officiel, s’inscrit dans une série de plaintes pénales déposées depuis 2016 pour les crimes commis pendant le conflit armé en Syrie par plusieurs victimes en Europe, notamment en Allemagne, en Autriche, en France et en Suède. Il s'agit du premier procès relatif aux actes de torture commis par l’Etat syrien.

La procédure à l’encontre d’Anwar Raslan et d’Eyad Al-Gharib a été ouverte sur la base du principe de la compétence universelle qui permet aux tribunaux allemands de poursuivre les auteurs de crimes internationaux peu importe où ils ont été commis et quelle que soit la nationalité des auteurs et des victimes.

Le principe de compétence universelle

L’exercice de la compétence universelle pour les crimes fondamentaux internationaux a été reconnu en Allemagne avec l’adoption, en 2002, du Code de droit pénal international (VStGB) transposant le Statut de la Cour pénale internationale (Statut de Rome). Ce principe s’applique aux crimes contre l’humanité, génocide, crimes de guerre et crime d’agression (article 1 du VStGB).

L’Allemagne est l’un des pays ayant mis en place un principe de compétence universelle « pure ». En d’autres termes, le VStGB n’impose aucune condition limitant son application, telle que la condition de double incrimination ou la résidence de l’auteur présumé sur son territoire (à l’exception du crime d’agression). Le parquet fédéral dispose cependant d’un pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. En application de l’article 153f du Code de procédure pénal (StPO), le procureur peut décider de déroger au principe de la poursuite obligatoire dans les affaires n’ayant aucun lien avec l’Allemagne.

Note : A l’inverse, le Code de procédure pénal français, modifié par la loi n°2010-930 du 9 août 2010 adaptant le droit pénal français au Statut de Rome et la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, impose quatre conditions (article 689-11):
- La résidence habituelle de l’auteur présumé sur le territoire français ;
- La double incrimination : les faits doivent être punis par la législation de l’Etat où ils ont été commis ou si cet Etat ou l’Etat dont la personne soupçonnée a la nationalité est partie au Statut de Rome (sauf pour le crime de génocide depuis 2019) ;
- Le monopole des poursuites par le ministère public ; et
- La renonciation de la compétence par la Cour pénale internationale.

L’affaire à l’encontre d’Anwar Raslan et d’Eyad Al-Gharib

Les deux accusés ont été arrêtés le 12 février 2019 en Allemagne où ils résidaient depuis 2014 pour Anwar Raslan et 2018 pour Eyad Al-Gharib. Anwar Raslan aurait été reconnu par Anwar Al-Bunni, avocat syrien et une de ses victimes, vivant aujourd’hui en Allemagne. Ils ont été mis en accusation le 18 octobre 2019 (numéro du dossier : 1 StE 9/19), en application du Code pénal allemand (StGB) et du VStGB.

Anwar Raslan est accusé de complicité de crime contre l'humanité pour la torture et la privation de liberté de plus de 4,000 personnes, dont 58 meurtres et un cas de viol et de violences sexuelles graves, entre le 29 avril 2011 et le 7 septembre 2012. Eyad Al-Gharib est accusé de complicité de crime contre l'humanité entre le 1er septembre et le 31 octobre 2011 pour la privation de liberté et la torture de 30 personnes.

Selon le parquet fédéral allemand, Anwar Raslan aurait dirigé l'unité des enquêtes du département des renseignements généraux, qui est responsable de la sécurité de la ville de Damas et de ses environs. Il aurait été responsable des interrogateurs de l'unité d'enquête et le supérieur hiérarchique du personnel pénitentiaire de la prison connu sous le nom d'Al-Khatib ou branche 251. Anwar Raslan aurait surveillé et déterminé les activités des interrogateurs, y compris le recours à la torture systématique et violente.

Du 29 avril 2011 au 7 septembre 2012, au moins 4,000 prisonniers de la branche 251 auraient été torturés pendant leur détention et soumis à des violences physiques et mentales (dont coups de fouet et électrochocs) dans le but d’obtenir des aveux et des informations sur l'opposition au gouvernement syrien. Une personne aurait également été victime de viol et de violences sexuelles graves et au moins 58 personnes seraient décédées des suites des mauvais traitements subis. L’acte d’accusation précise que les prisonniers étaient détenus dans des conditions inhumaines et dégradantes, sans accès aux soins et avec un accès très limité à la nourriture.

Eyad Al-Gharib, quant à lui, aurait arrêté au moins 30 personnes au cours d’une manifestation à Douma et les aurait emmenées à la prison de la branche 251 à l'automne 2011. Les détenus auraient été battus sur le chemin de la prison et à leur arrivée. En prison, ils auraient été maltraités et systématiquement torturés.

Anwar Raslan et Eyad Al-Gharib sont les premiers membres du régime syrien à être jugé en Allemagne pour les crimes commis en Syrie. En 2018, trois mandats d’arrêt ont été délivrés par la France à l’encontre d’Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud, hauts responsables des services de renseignements syriens, accusés notamment de complicité de crimes contre l'humanité. Jamil Hassan fait également l’objet d’un mandat d’arrêt en Allemagne.

 

Les opinions exprimées dans ce billet sont celles de l'auteure et ne reflètent pas le point de vue de son employeur.

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