Cour pénale internationale: recevabilité de l’affaire Saif Al-Islam Gaddafi confirmée
Remarque préliminaire : La plupart des décisions rendue dans l’affaire Saif Al-Islam Gaddafi n’est pas traduite en français. Une mention « disponible en français » et un lien hypertexte vers la traduction, ont été ajoutés pour les documents pertinents.
Le 9 mars 2020, la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI ou la Cour) a confirmé la recevabilité de l’affaire à l'encontre de Saif Al-Islam Gaddafi et a rejeté l’appel de l’accusé contre la décision rendue par la Chambre préliminaire I le 5 avril 2019.
L’exception d’irrecevabilité, soulevée par M. Gaddafi, tournait autour de deux points principaux : (1) le statut de la procédure pénale en Libye qui a abouti à sa condamnation; et (2) l’application de la loi libyenne n°6 de 2015 (loi n°6), octroyant des amnisties, à M. Gaddafi et sa compatibilité avec le droit international.
La Chambre préliminaire, confirmée en appel, a jugé que la condamnation par contumace de M. Gaddafi ne remplissait pas les critères posés par les articles 17(1)(c) et 20(3) du Statut de Rome qui exigent que, pour qu’une affaire soit considérée irrecevable, le jugement doit avoir été rendu au fond, mais également avoir acquis autorité de la chose jugée. Elle a également conclu que la loi n°6 ne rendait pas sa condamnation définitive dans la mesure où elle ne s’appliquait pas à son affaire.
La Chambre d’appel a conclu que le Chambre préliminaire I n’a commis aucune erreur et a rejetté l'appel de M. Gaddafi.
Cet arrêt est particulièrement intéressant en raison de la position de la CPI sur les amnisties en droit international. Pour la première fois, la Cour a eu à traiter du sujet de la compatibilité des amnisties avec l'obligation de poursuivre les violations des droits de l'homme. Une analyse de sa position a été faite dans un autre billet.
Statut de la procédure pénale en Libye qui a abouti à la condamnation de M. Gaddafi
L’exception d’irrecevabilité, soulevée par M. Gaddafi en première instance, porte sur la définition du statut de la procédure pénale en Libye à son encontre en vertu des articles 17(1)(c) et 20(3) du Statut de Rome.
Dans sa décision, la Chambre préliminaire rappelle que l'article 17(1)(c) du Statut de Rome fait référence à une personne qui « a déjà été jugée pour le comportement faisant l'objet de la plainte, et qu'elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l'article 20, paragraphe 3 » et que l'article 20(3) impose l’interdiction d’un second procès lorsque la personne « a été jugé par une autre juridiction pour un comportement tombant aussi sous le coup des articles 6, 7, 8 ou 8 bis ». Un second procès pour le « même comportement » n'est autorisé que si « la procédure devant l'autre juridiction » était entachée des irrégularités mentionnées à l'article 20(3) (a) et (b) du Statut de Rome [« Décision relative à l’ «exception d’irrecevabilité soulevée par Dr Saif Al-Islam Gaddafi en vertu des Articles 17(1)(c), 19 et 20(3) du Statut de Rome » (CP1), para. 34].
La Chambre explique qu’un simple procès au fond par une autre juridiction n’est pas suffisant pour déclencher le principe ne bis in idem. Rappelant la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Bemba, ainsi que la pratique des tribunaux ad hoc et les standards des droits de l’homme, la Chambre conclut que M. Gaddafi doit avoir fait l'objet d'un procès suivi d’une condamnation ou d’un acquittement définitifs. Selon la Chambre, un procès suivi d’une condamnation au fond ou une simple condamnation ou acquittement par un tribunal de première instance ne remplissent pas les critères d’irrecevabilité [CP1, paras 35-47].
La Chambre souligne que l’arrêt condamnant M. Gaddafi le 28 juillet 2015 a été rendu par une Cour d'assises de première instance et peut encore faire l'objet d'un pourvoi en cassation. Elle rajoute que, selon les informations communiquées par le gouvernement libyen, ce jugement a été rendu par contumace, démontrant qu'il ne s'agit pas d'un jugement définitif. En effet, selon la loi libyenne, une fois M. Gaddafi arrêté, son procès devra recommencer [CP1, para. 48]. La Chambre préliminaire conclut que le jugement rendu contre M. Gaddafi n’avait donc pas acquis autorité de la chose jugée.
En réponse à un argument présenté par le défense, la Chambre rajoute qu’il ne lui revient pas de contester l'exactitude des jugements rendus par les juridictions des États, sauf s'il existe des raisons impérieuses de le faire, au risque de s’ingérer de manière injustifiée dans les affaires judiciaires internes [CP1, para. 53].
En appel, la Chambre confirme que le Statut de Rome exige un jugement définitif au fond, rejetant définitivement l’argument de la défense selon lequel si le caractère définitif était requis, le texte de l’article 20(3) du Statut de Rome l’aurait expressément indiqué. Elle rappelle que cette exigence est conforme au principe de complémentarité de la Cour qui reconnaît le rôle principal des États d'enquêter et de juger les affaires [ « Arrêt relatif à l'appel interjeté par M. Saif Al-Islam Gaddafi contre la décision de la Chambre préliminaire I intitulée « Décision relative à l’ « exception d’irrecevabilité soulevée par Dr Saif Al-Islam Gaddafi en vertu des Articles 17(1)(c), 19 et 20(3) du Statut de Rome » du 5 avril 2019 » (CA), paras 55-61].
La Chambre d'appel conclut qu’elle ne peut identifier aucune erreur dans la conclusion de la Chambre préliminaire [CA, para. 62].
Application de la loi libyenne n°6 de 2015 à M. Gaddafi
Indépendamment de l’absence de caractère définitif du jugement par contumace, M. Gaddafi a également soulevé qu’il a été amnistié par la loi n°6, ce qui aurait rendu la procédure libyenne à son encontre définitive [CP1, paras 54-55].
La Chambre préliminaire a rejeté cet argument au motif que la loi n°6 ne s’appliquait pas à M. Gaddafi en raison des crimes pour lesquels il a été condamnés [CP1, para. 56], position également soutenue par le gouvernement libyen [CP1, para. 59].
Par ailleurs, la Chambre va plus loin et rajoute que l'octroi d'amnisties et de grâces pour des actes graves tels que des meurtres constituant des crimes contre l'humanité est incompatible avec les droits de l'homme. Elle souligne qu’il existe une tendance universelle, forte et croissante selon laquelle les violations graves et systématiques des droits de l'homme, qui peuvent également constituer des crimes contre l'humanité, ne peuvent être amnistiées ou graciées en vertu du droit international [CP1, para. 61]. Après avoir rappelé plusieurs décisions des cours régionales des droits de l’homme et des juridictions pénales internationales [CP1, paras 62-76], la Chambre préliminaire explique que les amnisties et les grâces font partie intégrante de l’obligation positive des États d’enquêter, de poursuivre et de punir les auteurs des crimes internationaux [CP1, para. 77]. La Chambre conclut qu’alors même que la loi n°6 s'appliquerait à M. Gaddafi, elle serait incompatible avec le droit international [CP1, para. 78].
Par conséquent, la loi n°6 ne pouvait pas s'appliquer à M. Gaddafi pour deux raisons selon la Chambre préliminaire : (1) les crimes qui lui sont reprochés n'entrent pas dans le champ d'application de la loi ; et (2) la loi est incompatible avec le droit international.
En appel, la Chambre confirme la position de la Chambre préliminaire selon laquelle la loi n°6 ne s'applique pas à M. Gaddafi. Elle s’appuie notamment sur la position du gouvernement libyen qui soutient que la loi n'a aucun impact sur le jugement rendu contre M. Gaddafi et qu’aucune décision n'a été rendue par une autorité judiciaire compétente concernant sa libération [CA, para. 94].
De manière surprenante, la Chambre d’appel conclut cependant que le droit international est encore au stade du développement sur la question de l’applicabilité des amnisties et ne se positionne pas sur le sujet, revenant sur la position de la Chambre préliminaire. Elle précise cependant que cette position étant obiter dicta, la Chambre préliminaire n'a commis aucune erreur en constatant l'absence de caractère définitif de l'arrêt de la Cour d’assises de Tripoli et l’inapplicabilité de la loi n°6 aux crimes pour lesquels M. Gaddafi a été condamné [CA, para. 96].
Procédure
Le 27 février 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies a renvoyé la situation en Libye depuis le 15 février 2011 à la CPI. Le 27 juin 2011, la Chambre préliminaire I a délivré un mandat d’arrêt [disponible en français] contre M. Gaddafi pour crimes contre l’humanité (meurtres et persécutions) qui auraient été commis en Libye du 15 jusqu'au 28 février 2011 au moins, à travers l'appareil d'Etat libyen et les forces de sécurité. Il a été arrêté le 19 novembre 2011 en Libye.
Le 31 mai 2013, la Chambre préliminaire I a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Libye, décision confirmée en appel le 21 mai 2014. Le 6 juin 2018, la défense de M. Gaddafi a soulevé, à son tour, une exception d’irrecevabilité, au motif qu'il a déjà été jugé et condamné à mort le 28 juillet 2015 par les juridictions libyennes pour essentiellement le même comportement que celui allégué dans la procédure devant la CPI. Il a également fait valoir qu’il a été amnistié, en application de la loi n°6, et qu'il a été libéré de prison vers le 12 avril 2016.
L’exception d’irrecevabilité a été rejetée par la Chambre préliminaire le 5 avril 2019, décision confirmée en appel le 9 mars 2020.
Pour plus d’informations, veuillez consulter le site de la CPI.
Les opinions exprimées dans ce billet sont celles de l'auteure et ne reflètent pas le point de vue de son employeur.