Symposium - Palestine : L’évolution du conflit à Gaza : quelques réflexions sur les limites du droit international
La riposte de l’armée israélienne dans la bande de Gaza suite aux attaques du 7 octobre 2023 s’inscrit dans un conflit qui dure depuis plusieurs décennies. Particulièrement meurtrière, la reprise des hostilités a fait – et fait encore – de trop nombreuses victimes. Du côté israélien, on dénombre près de 7.894 personnes blessés et 1.589 personnes tuées dont 37 enfants (ici et ici). La résistance palestinienne détiendrait encore 101 otages dont 2 enfants. Du côté palestinien, l’offensive israélienne a blessé plus de 111.166 personnes et coûté la vie à plus de 47.161 personnes dont 14.500 enfants. L’UNICEF estime qu’« un enfant est blessé ou tué toutes les dix minutes ». Le nombre de personnes déplacées à Gaza est quant à lui, estimé à 1,9 million alors que près de 70.000 biens civils seraient quant à eux détruits. La situation humanitaire dans la bande de Gaza est catastrophique. De trop nombreuses familles privées des moyens élémentaires de subsistance peinent à survivre et les enfants en sont les premières victimes.
L’escalade des hostilités et leurs conséquences désastreuses sur la population civile couplée à l’instrumentalisation politique du conflit dans le cadre des mécanismes de sécurité collective témoignent des limites du droit international à assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’action humanitaire ou encore la justice internationale.
Les limites liées au maintien de la paix et de la sécurité internationales
Quelques heures après les attaques du 7 octobre 2023, l’Ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies a adressé une lettre au Secrétaire général et au Président du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU). Dans sa lettre, Israël prévient qu’il usera de « tous les moyens nécessaires pour protéger et défendre ses citoyens et son territoire contre les attaques terroristes menées depuis la bande de Gaza ».
Ainsi, si certains semblent y voir la mobilisation par Israël – et lui reconnaissent d’ailleurs – un droit à la légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies (la Charte) voire un droit à se défendre pour justifier sa riposte armée dans la bande de Gaza, rien n’en est moins sûr. En effet, s’il est fait usage des termes « tous les moyens nécessaires » ou encore « pour protéger ses citoyens et sa souveraineté », Israël ne mobilise pas expressément – pas plus d’ailleurs lors des débats entre États au sein des Nations unies – l’argument juridique de la légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte (ici et ici). Les termes utilisés sont d’ailleurs plutôt larges alors même que ses agissements sur la scène internationale semblent, au contraire, traduire la volonté de se prévaloir d’un tel droit. La communauté internationale semble elle-même divisée sur la question du titre justifiant la riposte de l’armée israélienne.
Les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore l’Union Européenne ont, en effet, très tôt reconnu à Israël le droit de répondre aux attaques de la résistance palestinienne tantôt explicitement sous couvert de la légitime défense au sens du droit international, tantôt sous couvert du droit de se défendre. Or, comment interpréter cela alors que ces mêmes États ne reconnaissent pas à la Palestine la qualité étatique ? En outre, que penser de la mobilisation de l’argument de la légitime défense en droit international alors que la bande de Gaza, Ramallah ou encore la Cisjordanie sont reconnus comme des territoires palestiniens occupés par Israël ? (Voy. notamment : Résolution 242 ; Résolution 252; Résolution 267 ; Résolution 298; Résolution 465; Résolution 476; Résolution 2334; CIJ, §§ 138 et 139 et CIJ).
Ces mêmes arguments sont d’ailleurs utilisés par les États déniant à Israël ce droit, dont notamment les États arabes représentés par la Jordanie.
La présente contribution n’a pas vocation à trancher la qualification juridique de la riposte de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, ou même encore de déterminer – à considérer qu’un tel droit soit fondé – si son exercice est ou non licite. (Pour aller plus loin sur la question, voy. notamment : O. CORTEN, Le droit contre la guerre, Pedone, 2020, pp. 643-777 ; A. MILIANI, How does the (il)legality of the Israeli occupation inform and is informed by the doctrine of self-defence ? , BDIP, 22 février 2024, consulté le 2 mai 2024 ; R. VAN STEENBERGHE, « Le conflit armé entre le Hamas et Israël au regard du droit international », J.T., 2024, pp. 161-175 ; R. VAN STEENBERGHE, «A plea for a right of Israel to self-defence in order to restrict its military operations un Gaza : when jus ad bellum comes to the aid of jus in bello», EJIL:Talk!, 16 novembre 2023, consulté le 15 mars 2024.)
La présente contribution vise à mettre en exergue les défis voire les limites du droit international dans le cadre de la reprise des hostilités d’Israël sur Gaza.
À ce titre, la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales incombe au CSNU (Articles 1er (1), 24(1), 39 et s., CSNU). Dans la recrudescence du présent conflit force est de constater que le CSNU s’est trop souvent retrouvé paralyser en l’absence de consensus entre ses membres et de l’utilisation du droit de véto. Ces éléments traduisent inévitablement les limites du système de sécurité collective.
En dépit des nombreuses séances tenues par le CSNU depuis le conflit actuel entre Israël et la Palestine, aucune résolution en faveur d’un cessez-le-feu permanent n’a pu être prise par cet organe. Ainsi, près de 16 mois après le début des hostilités, l’incapacité du CNSU à prendre des mesures adaptées pour mettre fin aux violations du droit international à Gaza, questionne sur l’efficacité de cet organe de maintien de la paix, face aux alliances politiques et au pouvoir écrasant des États titulaires du droit de véto.
Depuis le 13 octobre 2023, différents projets de résolution proposant des solutions différentes au conflit ont été soumis sans trouver de consensus au sein du Conseil. Les plus notables sont celui de la Russie, en faveur d’un cessez-le-feu humanitaire (S/2023/772) rejetée le 16 octobre 2023 par vote. L’usage non raisonné du droit de véto sur la question de ce conflit a souvent été un facteur de blocage de l’action de la CSNU. En effet, le projet de résolution S/2023/773 présenté par le Brésil, condamnant les violences contre les populations et exhortant à des pauses humanitaires a été rejeté le 18 octobre 2023 suite à un véto des États-Unis. De même, le projet de résolution S/2024/173 déposé par l’Algérie en faveur d’un cessez-le-feu humanitaire, de l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire ainsi le rejet du déplacement forcé des palestiniens, a été rejeté le 20 février 2024 suite à un véto des États-Unis.
La lecture des comptes rendus de séance du CSNU sur la question du conflit israélo palestinien met en lumière le rôle des alliances politiques dans la complexification de la résolution de ce conflit, notamment le soutien d’un des membres permanents : les États-Unis à une des parties au conflit : Israël. Cette position a été vivement critiquée par le représentant de la Russie, M. Nebenzia, après le rejet de la proposition de résolution S/2023/772 précité, a exprimé son regret quant au fait que « le Conseil de Sécurité ait été une fois de plus pris en otage par les ambitions égoïstes du bloc des délégations occidentales ». En réponse, la représentante des États-Unis, Mme Thomas-Greenfield, a justifié le rejet des États-Unis aux motifs que la proposition ne contenait pas de condamnation du Hamas, tout en rappelant la position américaine dans ce conflit : un soutien indéfectible à Israël.
La position américaine sur ce conflit est paradoxale parce que marquant une opposition à toute proposition de cessez-le-feu humanitaire tout en soutenant ou en n’entravant pas les projets de résolution en faveur de mesures favorisant l’acheminement de l’aide humanitaire. A titre d’illustration, les États-Unis se sont abstenus de voter contre la résolution 2712 du 15 novembre 2023 présentée par Malte appelant à « des pauses et des couloirs humanitaires étendus et urgents pendant un nombre de jours suffisant ». Le représentant des États-Unis a expliqué cette abstention du fait de l’absence de condamnation des attaques du Hamas dans le projet de résolution.
Loin d’être efficace, cette pause humanitaire est une solution temporaire comme l'a souligné le Secrétaire général M. Guterres dans sa lettre (S/2023/962), nécessitant une nouvelle décision du CSNU qui se retrouve face aux mêmes obstacles. Ainsi, la fin de la première pause humanitaire proposée par Malte a conduit les Émirats arabes unis à déposer un projet de résolution S/2023/970 co-signé par près d’une centaine de pays membres de l’ONU, exigeant un cessez-le-feu immédiat, mais ce texte s’est heurté au véto des États-Unis. Ces derniers ne se sont pas opposés à la résolution 2720 présentée par les Émirats arabes unis le 22 décembre 2023. Cependant, elle diffère du projet de résolution S/2023/970 en ne proposant pas un cessez-le-feu humanitaire, se limitant plutôt à rappeler aux parties en conflit leurs obligations et en les exhortant à faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire. Les États-Unis semblent ne soutenir que les solutions temporaires qui se sont traduites par un soutien un projet de résolution (S/2024/254 présenté par une dizaine de pays dont l’Algérie relatif à un cessez-le-feu humanitaire pendant la période du ramadan.
Outre le blocage des États-Unis, une des difficultés auxquelles fait face le CSNU pour apporter une solution définitive au conflit est que la position américaine est souvent totalement en contradiction avec celles des autres membres. A titre d’illustration, le projet de résolution États-Unis S/2023/792 du 25 octobre 2023 proposant des pauses humanitaires tout en soulignant le caractère terroriste des attaques du Hamas et le droit à l’autodéfense d’Israël. Cette résolution a fait l’objet d’un véto de la Russie et de la Chine justifié par le représentant chinois, M. Zhang Jun, du fait de la contradiction entre la position américaine et celle des autres membres du CSNU.
Le maintien de la position américaine sur la gestion de ce conflit entrave toute prise de position durable du Conseil, remettant en question son efficacité dans l'accomplissement de sa mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales, surtout dans le cadre spécifique de ce conflit, dont le bilan humain s'aggrave.
Aux résolutions 2712 et 2770, se sont ajoutés deux autres. La résolution n°2728 datant du 25 mars 2024 relative à un cessez-le-feu immédiat sur la bande de Gaza et la résolution n°2735 du 10 juin 2024 visant aussi un cessez-le-feu immédiat sur la bande de Gaza.
Près de 13 mois après le 7 octobre 2023, préoccupé par l’escalade de la violence au Moyen-Orient notamment en Palestine, le CSNU le 29 octobre 2024 (S/PV. 9763) s’est réuni en séance afin de questionner l’efficacité de son action. Face au bilan de 42.000 Palestiniens, 1.600 Israéliens et ressortissants étrangers tués, ainsi qu’aux 101 otages toujours retenus et aux 230 membres du personnel humanitaire des Nations Unies affectés, le Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) reste incapable d’instaurer un cessez-le-feu à Gaza. Malgré l’adoption de quatre résolutions, l’organe n’a pas réussi à obtenir la libération des otages ni à faire respecter le droit international par les parties, ce qui amène le président de séance, M. Cassis, représentant de la Suisse, à constater que le CSNU n’est pas à la hauteur de ses responsabilités en tant qu’organe de maintien de la paix. Il a aussi relevé que la décision du Parlement Israélien à l’encontre de l’Office de secours et des travaux des Nations Unies pour les réfugiés en Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) visant à interdire ses activités, marque un nouveau tournant dans ce litige, l’amenant à conclure que l’assistance humanitaire n’est pas la solution dans ce conflit et que la paix ne viendra que par la voie politique. Cette solution politique implique un accord entre les hautes parties au conflit en dehors de l’intervention du CSNU dont les résolutions pourtant juridiquement contraignantes, se sont révélés inefficaces pour faire respecter le droit international humanitaire.
Les difficultés de l’aide humanitaire
La récente opération militaire d’Israël soulève des difficultés propres à l’action humanitaire. En effet, les hostilités n'ont pas manqué de provoquer un nouveau cycle de souffrances humaines et de destruction de biens civils. Les règles du droit international humanitaire qui ont vocation à s’appliquer en la matière sont pourtant claires. Au titre de ces règles, les Conventions de Genève (CG) de 1949, de même que les règles du droit international humanitaire coutumier prévoient une assistance générale qui doit être apportée aux victimes pour couvrir les besoins essentiels de leur survie. Pourtant, l’actualité du conflit suscite avec une acuité des défis mettant à mal l’action humanitaire.
Les difficultés du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à exercer ses tâches humanitaires
Le CICR qui bénéficie d’un droit d’initiative général (CG I-IV, articles 9/9/9/10 communs) et de fonctions spécifiques est un acteur humanitaire fondamental dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Toutefois, ses actions semblent entravées et ce, en dépit des obligations des parties au conflit à son égard. Le CICR n’a d’ailleurs pas manqué de relever sa préoccupation au sujet de la précarité et de la dangerosité des conditions d’évacuations des civils. Ce constat conduit à poser un certain nombre de questions sur le respect par les parties de leurs obligations humanitaires. S’agissant de l’état des lieux à la suite des récentes escalades, dans une interview, le directeur de la branche Moyen-Orient du CICR, relevait ceci :
« C’est un drame de plus dans une crise humanitaire qui semble être sans fin et sans fond. Un drame qui illustre cette crise. Toutes les parties ont toujours une raison, une excuse mais, au bout du compte, ce sont les civils qui en paient le prix et qui n’ont pas accès aux services essentiels. Au-delà du nombre de morts, de personnes séquestrées à Gaza et de personnes détenues par Israël, le pire dans cette crise est que même la douleur humaine est politisée. On n’arrive plus à dire qu’il y a pourtant un espace qui est hors de la politique, celui de l’humanitaire et que cet espace-là ne devrait pas être politisé, militarisé ».
Ce constat met en exergue toutes les difficultés rencontrées par les organismes humanitaires intervenant dans le conflit. En effet, l’intensification récente du conflit qui s’est traduite par l’attaque du 7 octobre 2023 n’a pas laissé Israël indifférent. De son côté, en réaction, Israël a mené des représailles en instituant un blocus et menant des bombardements. La mise en place du blocus a entravé l’acheminement de l’aide humanitaire et soumis les agents du CICR à des bombardements.
Il également important d’insister sur le fait que les parties prenantes ont une responsabilité réelle car ces dernières, étant liées par les Conventions de Genève ou à tout le moins par les règles du droit international humanitaire coutumier sont tenues d’épargner les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités. C’est d’ailleurs pour faciliter le respect de cette obligation que le CICR, reconnu comme organisme impartial, a été créé et mandaté par les Hautes Parties contractantes aux CG de 1949. Aux termes de l’article 9 commun aux CG, ses missions sont « la protection des blessés et malades, ainsi que des membres du personnel sanitaire et religieux, et le secours à leur apporter ». De plus, c’est dans le renforcement des missions du CICR que la règle coutumière n°55 met à la charge des parties au conflit l’obligation d’autoriser et de faciliter le passage rapide et sans encombre de secours que le CICR entend. Il s’ensuit que, toute entrave à une telle initiative est une violation du droit international humanitaire, et peut constituer un élément constitutif du crime de guerre tel qu'appréhendé par le Statut de Rome (Article 8, al 2 para (b)), s’il est bien évidemment prouvé que des attaques ont été délibérément dirigés contre « le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules » humanitaires.
Tout compte fait, cette situation permet de conclure in casu à l’existence de violation des règles du DIH par les parties prenantes résultant du non-respect des obligations qui leur incombent au titre des missions humanitaires du CICR.
La politisation et le financement de l’aide humanitaire
À la suite de l’annonce faite en janvier par l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) concernant le licenciement ou la suspension de 12 employés qui auraient participé à l’attaque contre Israël le 7 octobre dernier, certains États, dont les États-Unis, ont suspendu le financement qu’ils accordaient à l’institution. Cette situation effrite considérablement la capacité d’agir de l’UNRWA et met à mal la coordination de l’aide humanitaire, vu que la charge de la coordination relevait du mandat de l’UNRWA. Aussi, il faut noter que cette inconduite des États-Unis s’étend même au CICR, dans la mesure où les États-Unis avaient émis des critiques à son encontre, et demandé le départ de son actuel Directeur Pierre Krähenbühl, au risque de couper les fonds américains.
La somme de ces inconduites amène à constater une manipulation de l’aide humanitaire, laquelle est confortée par la propension actuelle de certains États tendant à la subordination des subventions qu’ils accordent aux organismes humanitaires. Et ce, dans le seul but de satisfaire souvent des intérêts politiques. Cette politisation, outre le fait de priver les populations d’aides humanitaire, met en danger les principes cardinaux d’impartialité, d’indépendance et de neutralité qui téléguident l’action humanitaire. Il est donc impératif que cesse la manipulation de l’action humanitaire, afin de permettre aux organismes humanitaires de porter secours en toute impartialité et indépendance.
Entre-temps, le 5 février 2024 le secrétaire général de l’ONU, M. Antonio Guterres, a fait savoir à la communauté internationale la création d’un groupe indépendant d’évaluation dont la mission était foncièrement d’évaluer si « l’UNRWA fait tout ce qui est en son pouvoir pour garantir la neutralité de ses employés et prendre des mesures lorsque des allégations de violations graves sont faites à leur encontre », en raison des accusations israélienne et américaine. Perçue par certains comme ayant pour but de vérifier les liens supposés de l’UNRWA avec le Hamas, l’évaluation avait plutôt une visée d’apaisement. Selon la chef du groupe d’évaluation, Mme Colonna, « le but de son enquête était de garantir que les dons à l’UNRWA continuent et non que tout soit fait pour enquêter objectivement et mettre un terme à la complicité systématique et à la promotion du terrorisme par le personnel de l’UNRWA ». Toutefois, malgré le but affiché de l’évaluation et le résultat satisfaisant de l’enquête, le financement de l’UNRWA n’est pas revenu à la normale. En effet, si le rapport a fini par conclure que l’UNRWA avait « un nombre important de mécanismes et de procédures pour garantir le respect des principes humanitaires, en mettant l’accent sur le principe de neutralité », et que celle-ci « possède une approche plus développée de la neutralité que d’autres entités similaires des Nations Unies ou des ONG », certains États, dont les États-Unis, n’ont pas changé leur position. Pire, d’autres ont, sans tenir compte de la mention importante figurant dans le rapport, selon laquelle « l’UNRWA est irremplaçable et indispensable au développement humain et économique des Palestiniens » procédé au retrait de leur financement.
Les limites de la justice internationale
Le conflit en cours dans la bande de Gaza met indubitablement à l’épreuve la justice internationale. En effet, la Cour pénale internationale (CPI ou la Cour) et la Cour internationale de justice (CIJ) ont toutes deux été saisies, dans leur champ de compétence respectifs, pour se prononcer sur les crimes commis dans le cadre de ce conflit.
La Cour pénale internationale
Elle a pour objectif de « mettre un terme à l’impunité des auteurs » des crimes relevant de sa compétence « et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes ». Cet objectif à double détente est compromis par le conflit opposant Israël à la résistance palestinienne dans la Bande de Gaza.
Lors d’une allocution prononcée le 29 octobre 2023 en Égypte, le Procureur de la CPI, Karim Khan, fortement critiqué par les palestiniens pour son manque d’impartialité, a rappelé à toutes les parties au conflit que les protections offertes par le droit international s’appliquent à tous de manière égale et que la CPI est compétente pour connaître des crimes commis tant par les palestiniens que par Israël. Des propos qui, même joints aux actes, ne semblent pas refréner le comportement des acteurs au conflit dessinant ainsi les limites de la justice pénale internationale.
Les limites de la conduite de l’enquête
Pour enquêter sur le territoire d’un État, le Procureur doit obtenir sa coopération. In casu, concernant l’enquête ouverte dans la situation en Palestine par le Bureau du Procureur (BdP) en mars 2021, la coopération de la Palestine ne semble faire aucun doute, ayant saisi la Cour le 16 janvier 2015, et renvoyé la situation devant elle en 2018. En revanche, Israël qui n’est pas partie au Statut Rome refuse de coopérer avec la Cour.
S’il est, par ailleurs, vrai que le portail numérique mis en place par le BdP permettrait à la Cour d’obtenir des renseignements et des preuves provenant directement des victimes et des acteurs de terrain, sans avoir besoin de se déplacer. Il faut reconnaître qu’en l’absence d’un accès à Gaza, le BdP aura bien du mal à garantir la fiabilité des renseignements et des preuves collectées.
Les limites qui compliquent l’exécution des mandats d’arrêts émis par la CPI
Le 20 mai 2024, le Procureur a indiqué son intention de déposer une requête auprès de la Chambre Préliminaire aux fins de délivrance de mandats d’arrêt concernant la situation dans l’État de Palestine. Quelques mois plus tard, malgré les demandes visant la suspension de la procédure formulées auprès de la Chambre préliminaire par l’État d’Israël, la Cour a émis des mandats d’arrêt contre Mohammed Diab Ibrahim AL-MASRI, plus connu sous le nom DEIF (commandant en chef de la branche armée du Hamas) ; et contre, Benjamin NETANYAHU, le Premier Ministre de l’État d’Israël, et son Ministre de la Défense, Yoav GALLANT.
L’émission de ces mandats d’arrêts est un tournant majeur pour la Cour, qui va néanmoins devoir compter sur la coopération de bonne foi des États parties au Statut de Rome et même des États non parties, pour leur exécution. Cette coopération est loin d’être garantie compte tenu du nombre de mandats d’arrêt de la Cour inexécutés par les États et de l’attachement de ces derniers « aux immunités personnelles bénéficiant aux membres de la troïka (chef de l’État, chef de gouvernement et ministre des affaires étrangères)». Ce d’autant plus que l’État d’Israël bénéficie du soutien inconditionnel des États-Unis, son puissant allié, non partie au Statut de Rome, qui rejette la compétence de la CPI à l’égard des États non parties surtout dans le cadre de ce conflit. De plus, concernant l’arrestation de Mohammed Diab Ibrahim AL-MASRI, la difficulté va surtout résider dans la capacité de l’État palestinien à pouvoir effectivement appréhender le mis en cause pour le remettre à la Cour.
La CPI faisant son œuvre bien qu’étant entravée, la CIJ a également eu l’opportunité de se prononcer sur les crimes commis dans la bande de Gaza.
La Saisine de la Cour internationale de justice
La CIJ a été saisie par l’Afrique du Sud et le Nicaragua concernant le conflit en cours dans la bande de Gaza et sur la base de l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. En l’espèce, les deux affaires, opposant respectivement l’État du Nicaragua à la République Fédérale d’Allemagne et l’Afrique du Sud à l’État d’Israël, en sont encore au stade préliminaire, la CIJ ne s’étant pour l’instant prononcée que sur l’indication de mesures conservatoires.
Ainsi, dans l’affaire Afrique du Sud contre Israël, la CIJ a indiqué des mesures conservatoires à l’encontre de l’État Israël estimant « qu’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits qu’elle a jugés plausibles, avant qu’elle ne rende sa décision définitive ». Des mesures qu’elle a d’ailleurs réaffirmé et renforcé dans une nouvelle ordonnance rendue le 24 mai 2024.
En revanche, dans l’affaire Nicaragua contre République Fédérale d’Allemagne, la CIJ, bien qu’ayant rappelé la responsabilité des États non parties au conflit de respecter et faire respecter le droit international humanitaire ainsi que leurs obligations internationales relatives au transfert d’armes, a décidé que les circonstances n’étaient pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires.
La volonté des États d’apporter une solution judiciaire au conflit en saisissant la CIJ, est hélas infléchie par le refus de l’État d’Israël de mettre en application les ordonnances indiquant des mesures conservatoires qui ont pourtant un caractère obligatoire.
CONCLUSION
Plusieurs mois après l’escalade du conflit et une brève trêve humanitaire, la reprise des hostilités dans la Bande de Gaza et ses conséquences désastreuses sur la population civile sont à déplorer.
Si le droit international rencontre certaines limites, il reste la courroie par laquelle la paix peut être rétablie. Il appartient, toutefois, à ses acteurs d’en faire bon usage. En ce sens, les organes qui ont la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales, les parties au conflit, les États tiers et les juridictions internationales compétentes notamment se doivent, malgré les entraves, d’agir dans leurs champs de compétence respectifs pour arriver à un règlement du conflit, veiller au respect du droit international humanitaire, et s’assurer que les auteurs de crimes internationaux durant ce conflit soient effectivement poursuivis et jugés.