Après le procès historique du massacre de 2009, la Guinée devrait soutenir l'adoption d'une Convention des Nations Unies sur les crimes contre l'humanité

Le 31 juillet 2024, le procès du massacre de 2009 en Guinée s'est conclu par une décision historique du tribunal de Dixinn qui a déclaré huit accusés, dont un ancien chef de l'État, coupables de crimes contre l'humanité. Le 28 septembre 2009, les forces de sécurité guinéennes ont violemment réprimé une manifestation organisée par des acteurs politiques contre, entre autres, la candidature de Moussa Dadis Camara à la présidence, ce qui a entraîné plusieurs violations du droit à la vie et des atteintes à l'intégrité physique et morale, des viols et des violences sexuelles, des actes de torture et d'autres mauvais traitements, ainsi que des arrestations et détentions arbitraires. La Cour pénale internationale (CPI), à la suite d'un examen préliminaire et une commission d'enquête internationale établie par l'Organisation des Nations Unies (ONU), a conclu que les crimes commis le 28 septembre 2009 pouvaient être qualifiés de crimes contre l'humanité.

Malgré plusieurs retards, la Guinée a montré qu'elle était capable et avait la volonté de poursuivre et juger les personnes soupçonnées d'être pénalement responsables des crimes du stade du 28 septembre 2009, y compris un ancien chef d'État et d'anciens hauts responsables militaires et civils. Avec la conclusion du procès, l'attention des autorités guinéennes doit maintenant se tourner vers la prévention de tels crimes. La Guinée devrait également s'efforcer de renforcer son cadre juridique et institutionnel sur la redevabilité pour les crimes de droit international et pour l'indemnisation des victimes et des survivants. Pour commencer, la Guinée devrait soutenir le processus en cours à l'ONU concernant la proposition de Convention pour la prévention et la répression des crimes contre l'humanité.

La Guinée et le projet d'articles de l'ONU sur les crimes contre l'humanité

Le projet d'articles pour une convention des Nations Unies pour la prévention et la répression des crimes contre l'humanité (la future Convention) est le produit des travaux de la Commission du droit international (CDI) des Nations Unies, un organe subsidiaire de l'Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) dont le mandat est la codification et le développement progressif du droit international. La CDI travaille à la production de la future convention depuis 2014. Il a adopté le projet d’articles actuel en 2019 à la suite de plusieurs rapports et de l'intégration des observations des États membres de l'ONU. Le projet se compose de 15 articles et d'une annexe. Il propose un cadre juridique international qui obligerait les États parties à prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires pour prévenir, punir et réparer les crimes contre l'humanité.

Discutée depuis plusieurs années lors des sessions de la Sixième Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies, la future convention a reçu un soutien assez modeste de la part des États africains Le 22 novembre 2024, la Sixième Commission de l'Assemblée générale des Nations Unies, qui régit les affaires juridiques, a adopté par consensus une résolution qui appelle les États membres de l'ONU à entamer des négociations formelles sur une convention pour la prévention et la répression des crimes contre l'humanité. La résolution avant son adoption a été coparrainée par 99 États, dont 19 africains. Jusqu'à présent, la Guinée est restée muette sur sa position individuelle sur le projet de convention ou de résolution, y compris, en octobre et novembre de cette année, alors que les discussions se poursuivaient à la Sixième Commission.

Renforcement du cadre juridique relatif aux crimes contre l'humanité en Guinée

L'une des questions ayant défrayé la chronique lors du procès pour le massacre du stade de 2009 concernait la demande du procureur de requalifier les faits en crimes contre l'humanité et celle de la base juridique sur laquelle les accusés pourraient être jugés et éventuellement condamnés pour crimes contre l'humanité. La Guinée a ratifié le Statut de Rome de 1998 en 2003, six ans avant le massacre de 2009. Cependant, ce n'est qu'en 2016 qu'il a intégré les dispositions du Statut de Rome dans son code pénal. Le tribunal de Dixinn a accédé à la demande du parquet et a conclu que, conformément à la constitution guinéenne, le Statut de Rome en tant que traité était directement applicable et pouvait constituer une base juridique pour la poursuite et la répression des crimes contre l'humanité puisque la Guinée l'avait ratifié bien avant les événements de septembre 2009.

Bien que le Statut de Rome, tel qu'incorporé dans le Code pénal guinéen, ait fourni la base juridique permettant d'obtenir les premières condamnations pour crimes contre l'humanité dans le pays, à l'avenir, la Guinée devrait ajouter à ces obligations légales, celles relatives à la prévention de la récurrence, au renforcement du cadre juridique, à la redevabilité et à la réparation de ces crimes sur son sol et dans la région africaine. La future convention offre à la Guinée une excellente occasion de le faire. Quelques exemples sont mentionnés ci-dessous.

Premièrement, sur la prévention de la répétition des crimes contre l'humanité, les projets d'articles 3 et 4 de la future convention consacrent une obligation de prévenir. Le paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention, par exemple, interdit aux États de se livrer à des actes susceptibles de constituer des crimes contre l'humanité. C'est significatif si l'on considère que lors du massacre du stade en 2009, des actes qualifiés de crimes contre l'humanité se sont produits dans le cadre de la répression d'une manifestation pacifique par les forces de sécurité, organes de l'État. Une autre disposition intéressante est le paragraphe 3 de l'article 3 qui dispose que « Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, telle qu'un conflit armé, une instabilité politique intérieure ou un autre état d'urgence, ne peut être invoquée pour justifier un crime contre l'humanité ». Dans le contexte de la Guinée, cette disposition revêt une grande importance sachant que le massacre du stade de 2009 s'est produit dans un climat de tensions politiques entre la junte militaire au pouvoir à l'époque, les dirigeants de l'opposition et les acteurs de la société civile. Aussi, l'histoire du pays est marquée par plusieurs coups d'État réussis et ratés (ici et ici). Il est alors essentiel que le pays prenne l'engagement juridique international qu'aucune situation ne justifiera jamais la commission de crimes contre l'humanité.

Le projet d'article 4 énumère les mesures spécifiques à prendre pour s'acquitter de cette obligation, à savoir : a) des mesures législatives, administratives, judiciaires ou d'autres mesures préventives appropriées efficaces sur tout territoire sous sa juridiction ; et b) la coopération avec d'autres États, les organisations intergouvernementales compétentes et, le cas échéant, d'autres organisations. Cette disposition revêt également une grande importance étant donné que le procès a pu être possible, notamment grâce à la coopération des autorités guinéennes avec la Commission d'enquête internationale de l'ONU et la CPI.

Deuxièmement, la future convention tient compte de plusieurs évolutions du droit international concernant la violence fondée sur le genre en tant que crimes contre l'humanité. La définition des crimes contre l'humanité dans le projet d'article 2 englobe plusieurs crimes basées sur le genre, notamment le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, ainsi que la persécution fondée sur le genre. Le massacre du stade de 2009 a été marqué par plusieurs actes de violences sexuelles. La Commission d'enquête internationale de l’ONU mise en place pour enquêter sur le massacre du stade de 2009 a documenté 109 cas de viol ou d'autres actes de violence sexuelle.

Troisièmement, la future convention viendrait compléter les dispositions du Statut de Rome qui reconnaissent la primauté de l'État guinéen pour poursuivre et juger les crimes contre l'humanité en vertu du principe de complémentarité (article 17 du Statut de Rome). La future convention suit une logique similaire. Bien qu'elle ne crée pas de cour internationale, elle obligera les États parties à prévenir, poursuivre et réparer les crimes contre l'humanité. La future convention et le Statut de Rome sont donc complémentaires et se renforceraient mutuellement.

Donner aux acteurs de la justice les moyens de protéger les droits des parties aux procès

Le système judiciaire guinéen s'est distingué en menant le procès du massacre de 2009 du début à la fin, complétant ainsi la CPI. Cependant, le procès a mis en évidence plusieurs défis cruciaux pour le système judiciaire guinéen. Par exemple, des défis subsistent en ce qui concerne la protection et la participation des victimes, étant donné que la loi sur la protection des victimes, des témoins et des personnes à risque n'est toujours pas en vigueur. Il s'agissait d'un moment critique du procès, car il a vu la participation massive de témoins et de victimes, tandis que les audiences étaient retransmises publiquement par les médias et que plusieurs accusés s'étaient évadés de leurs lieux de détention pendant que le procès était en cours. Un groupe de défense des droits de l'homme a souligné que la sécurité des victimes constituait un problème majeur car leur vie privée et leur sécurité n'étaient garanties ni par la loi ni par des mesures de sécurité spéciales. Certaines victimes ont exprimé des craintes à l'idée de continuer à participer au procès et ont décidé de ne pas donner d'autres témoignages. Le projet d'article 12 de la future convention accorde des droits et une protection aux victimes, aux témoins et aux personnes à risque. La CDI a déclaré que le projet d'article 12, en plus de consacrer à l'État partie, le devoir de « protéger contre les mauvais traitements ou l'intimidation ceux qui se plaignent ou participent d'une autre manière », ce qui inclut « le bien-être psychologique, la dignité ou la vie privée de la personne » (CDI, page 31). Bien qu'aucune mesure spécifique n'ait été prévue dans la future convention, la CDI cite comme exemples de mesures de protection « des mesures destinées à protéger la vie privée et l'identité des témoins et des victimes ; à huis clos » (CDI, page 31).

En fin de compte, le procès des massacres de 2009 a permis des avancées significatives dans la lutte contre l'impunité en Guinée. Cependant, pour garantir une justice plus accessible, efficiente et efficace, la Guinée devrait soutenir l'adoption d'une convention internationale spécifique aux crimes contre l'humanité, renforçant ainsi son cadre juridique. Le procès des massacres de 2009 ne devrait donc être qu'une première étape dans la lutte contre l'impunité pour les violations graves des droits humains et les crimes de droit international en Guinée. Le soutien à la future convention est une autre étape cruciale.

Philippe Mawuli Kokou Plagbe et Oumou Salamata Bah

Philippe Mawuli Kokou Plagbe est un juriste spécialisé en droits de l'homme et un acteur de la société civile togolaise qui a travaillé pendant une décennie pour des organisations locales et internationales. Boursier Fulbright, il est titulaire d'un Master of Laws in International Legal Studies obtenu en mai 2022 à l'American University Washington College of Law (AUWCL) aux États-Unis. Il a également obtenu en mai 2024 un second master en droits de l'homme et démocratisation en Afrique (HRDA) au Centre des droits de l'homme de l'Université de Pretoria (UP) en Afrique du Sud. Il est également titulaire d'une licence en droit privé fondamental obtenue en novembre 2017 à la Faculté de droit de l'Université de Lomé au Togo. En décembre 2024, il a conclu un fellowship à Amnesty International en tant que boursier de la justice internationale en Afrique (2023-2024)

Oumou Salamata Bah est membre de la Coalition Guinéenne pour la CPI depuis 2018. Depuis 2020, elle a rejoint Plan International Guinée en tant qu’assistante administrative financière et depuis 2024, elle y occupe le poste de Comptable. Elle est titulaire d'une licence en administration des affaires, avec une spécialisation en gestion des ressources humaines, obtenue à l'Université Nongo Conakry, ainsi que d'un master en management administratif et financier à l'université Keyce Academy.

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