La Cour pénale internationale: d’un universalisme subjectif à une universalisation objective ?
« (...) les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis (...) »
Préambule du Statut de Rome
La justice pénale internationale est incarnée depuis une vingtaine d’années principalement par la Cour pénale internationale (CPI), la première et la seule juridiction permanente et universelle. Depuis l’entrée en vigueur le 1er juillet 2002 du Statut de Rome, marquant les débuts de la CPI, cette dernière a reçu compétence pour juger des individus responsables de crimes internationaux parmi les plus graves (les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide, les crimes de guerre, puis depuis une dizaine d’années le crime d’agression). Elle œuvre également à la promotion de la coopération, de la complémentarité et de l’universalité comme composantes essentielles au bon fonctionnement du système juridique pénal international.
La CPI est dans une certaine mesure l’héritière des tribunaux pénaux que le monde a connu depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, puisque l’idée de sa création résulte à la fois de l’histoire marquée par la multiplication de crimes graves dans le monde, mais également du bilan de ces tribunaux pénaux. Il y a eu parmi les principaux, le tribunal militaire de Nuremberg et celui de Tokyo à la fin de la dernière guerre mondiale, mais aussi le Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) au milieu des années 90. Malheureusement, la CPI a hérité de l’expérience de ces prédécesseurs, mais aussi des griefs qui étaient formulés à l’encontre de ceux-ci. Ainsi il a rapidement été reproché à la CPI de traiter et de juger uniquement des dossiers qui relèvent de situations dans des puissances moyennes. Un reproche particulièrement présent dans le discours des pays africains, et qui a été renforcé par la mise en examen de deux chefs d’État africains en exercice, le Soudanais Omar Al-Bashir en 2009 et le Kenyan Uhuru Kenyatta en 2011. Ce qui a poussé certains pays africains comme l’Afrique du Sud, la Gambie et le Burundi à exprimer au fil des années leur intention de quitter la CPI. Ils ont pu recevoir le soutien appuyé de l’Union Africaine (UA).
En 2005, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples avait émis une résolution sur la fin de l’impunité en Afrique et sur l’incorporation et la mise en oeuvre du Statut de Rome de la CPI, et appelait les divers acteurs à travailler en collaboration afin de développer des partenariats visant à assurer davantage le respect de l’état de droit au niveau international et le renforcement du Statut de Rome. Mais quelques années plus tard, en octobre 2013, le thème central du sommet extraordinaire de l’UA était la menace d’une dénonciation collective du Traité de Rome par les États membres, à l’initiative du Soudan, du Kenya, du Rwanda et de l’Éthiopie. Ce changement quasi-radical de position s’explique par le sentiment que la CPI est un instrument entre les mains des États les plus puissants de la société internationale, raison pour laquelle elle n’appliquerait pas universellement les principes de la justice pénale internationale.
Il faut noter que sur treize situations sous enquête à la CPI, dix concernent des pays africains, sur les neuf examens préliminaires en cours, deux touchent des pays africains, et les quatre condamnations définitives à ce jour devant les chambres de la CPI concernent des individus africains. Cela a donc laissé entrevoir une sorte d’universalisme subjectif ou théorique, car la CPI viserait particulièrement l’Afrique ou les leaders Africains. Le bilan de la CPI semble certes accréditer la thèse d’un tropisme africain, mais il faut reconnaître que le continent est malheureusement la terre d’hôte de trop nombreux conflits armés au fil de ces dernières décennies. Un chiffre accrédite cette réalité, sept des treize opérations de maintien de la paix - l’un des moyens utilisés par les Nations unies afin de préserver la paix et la sécurité internationales - en cours sous la direction des Nations unies, sont menées sur le sol africain. Il pourrait donc se révéler un peu simpliste de conclure que la CPI ne juge que des africains.
L’idée est que la CPI ne s’attaque qu’à des africains, ce qui est perçu comme une insulte pour l’Afrique et ne reflétant pas la réalité et la diversité des endroits où sont commis des crimes de droit international. Mais dire que la Cour vise l’Afrique est faux. Elle s’intéresse à l’Afrique en partie parce qu’elle a été sollicitée davantage à la fois par les gouvernements et par la société civile.
Note: Pour que la Cour soit saisie d’une affaire, il faut que la demande vienne de l’État lui-même ou du Conseil de sécurité. Le procureur peut aussi décider d’aller de l’avant dans certains cas avec l'approbation de la Chambre préliminaire, et ouvrir des enquêtes proprio motu.
La majorité des cas passés et actuellement devant la Cour, a été ouverte à l’initiative des pays africains. En décembre 2003, l’Ouganda a demandé au procureur d’ouvrir une enquête sur la situation relative à l’Armée de résistance du Seigneur dans le Nord de l’Ouganda. Entre 2003 et 2005, les gouvernements de la République démocratique du Congo et la République centrafricaine ont renvoyé au procureur de la CPI les situations propres à leur territoire. Le gouvernement du Mali a fait une demande similaire au Procureur en vue d’une enquête sur des crimes de guerre perpétrés au cours du conflit interne qui sévit depuis le début de l’année 2012.
Les crimes internationaux graves sur lesquels portent la compétence de la CPI, ont le plus souvent pour point commun l’existence de conflits qui favorisent leur survenance. Il s’agit en grande partie de crimes qui surviennent lors de conflits armés, la guerre étant particulièrement propice à la commission d’exactions de la part des différents protagonistes au mépris des règles de droit international humanitaire, et parfois de droits humains les plus basiques. Or, en matière d’implication dans les conflits armés, les grandes puissances comme les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni ou encore la Russie sont loin d’être de simples observateurs. Il est donc légitime à un moment de s’interroger sur la possibilité que des soldats de ces pays aient pu poser des actes qui peuvent constituer un crime international grave.
Pourquoi la CPI tarderait à agir concrètement en faveur des victimes Irakiennes, Palestiniennes, Syriennes, Afghanes alors qu’elle s’intéresse à celles qui vivent en Côte d’Ivoire, au Soudan, au Mali, en République Démocratique du Congo ?
Procédure
Parmi les étapes qui précèdent la phase du jugement proprement dite, figurent l’examen préliminaire et l’enquête qui relèvent de la compétence du Procureur de la CPI.
L’examen préliminaire d’une situation par le Bureau du Procureur peut être amorcé sur la base :
a) de renseignements transmis par des particuliers ou des groupes, des États, des organisations intergouvernementales ou non gouvernementales ;
b) du renvoi de la situation par un État partie ou par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies ; ou
c) d’une déclaration déposée par un État en vertu de l’article 12-3 du Statut, par laquelle celui-ci consent à ce que la Cour exerce sa compétence.
Lorsque des communications et situations sont portées à son attention, il incombe au Bureau du Procureur de la CPI de déterminer si une situation répond aux critères juridiques fixés par le Statut de Rome permettant au Bureau d’ouvrir une enquête. Cette phase peut intervenir sur renvoi d'un État partie ou du Conseil de sécurité des Nations unies, ou encore de sa propre initiative après avoir obtenu l'autorisation des juges, le Bureau du Procureur mène des enquêtes en recueillant et en examinant des preuves, en interrogeant les individus faisant l'objet de l'enquête et des victimes et témoins, en vue de disposer d'éléments de preuve relatifs à l'innocence ou à la culpabilité du suspect.
Le Bureau du Procureur demande l'aide et la coopération des États parties, des organisations internationales, et envoie des enquêteurs dans les pays concernés, afin de recueillir différents éléments de preuve. Les enquêteurs doivent veiller à ne pas mettre en danger les victimes et les témoins.
La CPI à l’épreuve des dossiers impliquant des grandes puissances
La capacité de la CPI à étendre ses poursuites à d’autres affaires sur d’autres continents et à éviter l’image d’iniquité qui apparaît dans certaines de ses poursuites sur le continent africain est particulièrement scruté afin de mesurer son aptitude à justifier un meilleur universalisme. Ce serait un signe qui irait dans le sens d’un recadrage géographique de la compétence de la CPI.
En ce sens, un certain nombre de dossiers, à diverses étapes de la procédure devant la CPI peuvent contribuer à mener une analyse plus complète de la vocation universalisante qui s’attache à la CPI. Nous citerons ici trois situations pour appuyer ces propos. Premièrement, un nouvel examen préliminaire a été initié par le Procureur le 13 mai 2014, après réception de nouvelles informations essentiellement sur des crimes qui auraient été commis par des ressortissants du Royaume-Uni dans le cadre du conflit en Iraq et de l'occupation ultérieure de 2003 à 2008. Il s’agit de crimes de meurtre, torture, et autres formes de mauvais traitements infligés de façon systématique à des détenus en Iraq.
Ensuite, dans une déclaration en date du 20 décembre 2019, sur la clôture de l’enquête préliminaire de la situation en Palestine, le Procureur de la CPI, Fatou Bensouda annonçait être arrivée à la conclusion qu’il existait une base raisonnable justifiant l’ouverture d’une enquête dans la situation de la Palestine en application de l’article 53(1) du Statut de Rome. Cela concernait des crimes de guerre qui auraient été commis dans la bande de Gaza et en Cisjordanie et qui sont donc susceptibles d’avoir été commis par les Israéliens et les Palestiniens.
Enfin, plus récemment, le 5 mars 2020, la Chambre d'appel de la CPI a décidé à l'unanimité d'autoriser le Procureur à ouvrir une enquête pour des crimes présumés relevant de la compétence de la CPI en lien avec la situation en République islamique d'Afghanistan. Le Procureur peut enquêter sur les crimes présumés commis sur le territoire de la République islamique d'Afghanistan depuis le 1er mai 2003 ainsi que sur d'autres crimes présumés qui ont un lien avec le conflit armé en Afghanistan et sont suffisamment liés à la situation en Afghanistan et ont été commis sur le territoire d'autres États parties au Statut depuis le 1er juillet 2002 [voir le billet Actualités]. Les Etats-Unis ont été à l’initiative de l’intervention militaire en Afghanistan en 2001 et y sont très actifs. Le Procureur pourra mener une enquête entre autres sur les abus commis par des membres de l’armée américaine.
Ces différents dossiers, s’il fallait une preuve qu’il ne s’agit pas juste d’une volonté d’élargir le champ d’action matériel de la CPI et varier les cas pour un besoin statistique, ont irrité au plus haut les pays concernés. Dans cette dernière situation citée, la réaction américaine n’a d’ailleurs pas tardé, et elle a été virulente. Le 11 juin 2020, le gouvernement des États-Unis, à travers un décret du président Donald Trump, a annoncé de nouvelles mesures contre la CPI. Au nombre de ces mesures, on peut citer le gel des avoirs des responsables de la CPI et l’interdiction pour ces derniers et leurs familles d’entrer aux Etats-Unis.
Ceci a conduit le Président de l’Assemblée des Etats parties, O-Gon Kwon à rejeter dans un communiqué de presse, les mesures prises contre la CPI, précisant regretter vivement les mesures visant les responsables de la Cour, son personnel et leurs familles. Il en a profité pour rappeler que la Cour est indépendante et impartiale, une cour de justice qui procède dans le strict respect des dispositions du Statut de Rome. En soutien à la CPI et pour dénoncer la position américaine vis-à-vis de la Cour , 67 États parties - sur 123 - au Statut de Rome ont rendu publique une déclaration conjointe le 23 juin 2020.
Cette levée de boucliers afin de défendre le travail de la CPI, et la soutenir, est d’autant plus louable que parmi ces soutiens, on relève certains pays traditionnellement connus pour être des alliés des Etats-Unis. Une prise de position qui témoigne du caractère primordial de la mission de la CPI; qui au bout du compte en ouvrant des dossiers sur des « géants » montre, si besoin était qu’elle n’est pas une organisation à vocation unique.
Le fait que la CPI traite de dossiers qui concernent des grandes puissances confirme bien que son universalisme objectif ou pratique dont on a pu/voulu douter à un moment ou un autre semble bien être une réalité. S’il est particulièrement intéressant de garder un oeil sur l’aboutissement de ces dossiers en cours, et l’ouverture dans l’avenir de nouveaux dossiers impliquant d’autres grandes puissances, il est évident que la CPI tient là une opportunité de réaffirmer son indépendance et d’asseoir plus sereinement sa crédibilité. Après tout, le fait que la CPI irrite autant de grandes puissances que des puissances moyennes sur plusieurs continents n’est-il pas le signe que malgré les obstacles et les défis, elle joue tout simplement son rôle, et son caractère international reste d’actualité?