Symposium - Violence sexuelle et basée sur le genre en temps de conflit : Introduction
Les violences sexuelles et basées sur le genre sont commises en tout temps, en toutes circonstances, dans toutes les sociétés et aux mains de nombreux acteurs. La reconnaissance presque unanime de cette réalité par la communauté internationale et tous les acteurs qui la composent - soient-ils États, société civile ou autres - a permis de placer ces violences au cœur d’initiatives à l’échelle internationale, régionale et nationale. Une multitude d’acteurs concentre son travail, ses recherches et son plaidoyer à la recherche de justice pour les survivant.es de violences sexuelles et basées sur le genre, et à une meilleure prise en charge de leur souffrance et de leurs besoins. Cela est particulièrement vrai pour les violences perpétrées en temps de conflit armé, contexte dans lequel leur intensité et leur caractère massif ont engendré une réelle prise de conscience.
Au cours des dernières décennies, et notamment depuis l’instrumentalisation de la violence sexuelle par les parties aux conflits qui ont ravagé la Yougoslavie et dans le cadre du génocide Rwandais, le droit international a progressivement évolué en vue de prévenir la commission de telles violences et d’en punir les responsables. Si toutes les branches du droit ont fait leur petit bout de chemin en ce sens, c’est le développement et renforcement du droit international pénal qui s’est le plus démarqué. Les Statuts et la jurisprudence des tribunaux internationaux ou hybrides capables d’enquêter sur les crimes considérés les plus graves, à savoir les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide, et de poursuivre ceux qui peuvent en être tenus responsables, qu’ils en aient été les auteurs directs, les complices ou les commanditeurs, a mené à une meilleure compréhension de la commission des violences sexuelles et basées sur le genre. Cela a notamment permis de reconnaître leur gravité et de s’éloigner de la considération ancestrale erronée de l’acte individuel incidentel pour mieux refléter la stratégie politique, collective et militaire existant derrière la commission de telles violences. Tout comme Rome ne s’est pas fait en un jour, ces avancées ont pris du temps, mais aussi de la créativité et de l’audace de la part de certains juges et une vigoureuse pression de la société civile, pour être accomplies et se concrétiser par l’adoption du Statut de Rome en 1998, instrument fondateur de la Cour pénale internationale (CPI).
Aujourd’hui, le Statut de Rome est considéré comme une référence en matière de répression des violences sexuelles et basées sur le genre liées aux conflits armés. Il contient un certain nombre de crimes sexuels « indépendants », à savoir le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée et la stérilisation forcée constitutifs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, ainsi que « toute autre forme de violence sexuelle » dont la gravité est comparable autres crimes de guerre et crimes contre l’humanité, permettant d’intégrer d’autres violences non prévues par les rédacteurs du Statut. Cet instrument donne aussi compétence à la CPI pour poursuivre d’autres violences sexuelles sous une qualification distincte, telle que la torture, les actes inhumains et dégradants, la persécution ou encore certaines formes de génocide. En théorie, donc, le Statut de Rome constitue un instrument unique en son genre susceptible de lutter contre l’impunité encrée et persistante des auteurs de crimes sexuels et basés sur le genre.
En pratique en revanche, et comme souvent, enquêter sur et poursuivre de tels crimes requiert bien plus qu’un cadre juridique propice. En juillet 2020, alors que la CPI fêtait ses 18 ans, aucune condamnation définitive n’avait été prononcée par les juges de La Haye pour des crimes de violences sexuelles et basées sur le genre, et ce alors même que l’utilisation de telles violences ne fait aucun doute dans la majorité des situations examinées par la Cour. Cela s’explique par plusieurs facteurs, notamment la complexité d’obtenir des preuves de ces crimes souvent perpétrés dans l’intimité et en même temps que d’autres crimes plus visibles, la stigmatisation qui en découle et qui empêche encore trop souvent les survivant.es de se manifester, ou encore la politique et la stratégie plus implicites de commission qui rendent difficile de lier l’acte à la personne menée devant la justice, particulièrement s’il s’agit d’un commandant qui n’est pas l’auteur direct de ladite violence.
À ce jour, la CPI a rendu sa première décision finale pour de telles violences en condamnant Bosco Ntaganda, chef de guerre au sein des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), pour viol et esclavage sexuel en tant que crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Elle a également reconnu, en première instance, la culpabilité de Dominic Ongwen, ancien commandant en chef de l’Armée de Résistance du Seigneur, pour mariage forcé, viol, esclavage sexuel et grossesse forcée, ce qui constitue un espoir d’une meilleure justice pour ce types de crimes au niveau international. Par ailleurs, le Statut de Rome en lui-même ainsi que certaines décisions rendues par les juges qui la composent et politiques développées par le Bureau du Procureur ont influencé l’amélioration de la prise en charge juridique des violences sexuelles et basées sur le genre, mais aussi l’assistance et le soutien aux survivant.es, y compris au niveau national. Cette influence, bien que limitée, ne peut être niée.
Au-delà de ces quelques avancées, la Cour a également connu, en revanche, son lot d’occasions manquées, de stratégies contestables de la part du Bureau du Procureur et de décisions et d’interprétations préjudiciables rendues par les juges, reflétant une incompréhension persistante de l’essence, de la nature, des raisons, des causes et des conséquences des violences sexuelles et basées sur le genre. Une amélioration progressive, donc, mais semée d’embuches et avec de nombreux obstacles encore à venir, un mélange d’espoir et de probables déceptions pour les survivant.es encore dans l’attente. Aussi, malgré une adaptation sans précédent du droit international pénal et de la justice pénale internationale pour mieux refléter la réalité des crimes sexuels et basés sur le genre, ainsi qu’une condamnation presque universelle d’une telle violence, nous sommes encore loin d’un monde dans lequel justice est adéquatement rendue, les responsables condamnés et les survivant.es soutenu.es.
Dans ce cadre, il est essentiel de continuer à travailler, ensemble, pour une meilleure compréhension des violences sexuelles et basées sur le genre, pour une justice plus adaptée et représentative de l’expérience réelle des survivant.es, mais plus largement pour un ordre international capable de prévenir et de réprimer ces violences, ainsi que d’offrir une réparation complète significative et personnalisée aux survivant.es. Pour ce faire, tous les acteurs concernés, les États, les organisations internationales, la société civile et les universitaires doivent concentrer leurs efforts, partager leurs idées et bonnes pratiques, apprendre des erreurs du passé et proposer des solutions innovatives et durables pour en finir avec ce fléau de l’humanité.
C’est dans cette optique que le présent symposium s’inscrit, en offrant une plateforme à de jeunes chercheurs et professionnels dont les réflexions permettront d’enrichir la réflexion plus générale susmentionnée. Les articles proposés soulèvent des questions essentielles telles que : les définitions des crimes sexuels telles qu’intégrées dans le Statut de Rome, instrument clé de droit international pénal, sont-elles toujours adaptées plus de 20ans après son adoption ? Toutes les situations dans lesquelles de telles violences peuvent être perpétrées, telles que lorsque des enfants soldats sont impliqués, sont-elles adéquatement traitées par la justice internationale ? Quels sont les obstacles à l’enquête et à la poursuite de ces violences ? Quel est l’impact réel des décisions adoptées au niveau international dans les pays concernés par les violences, particulièrement pour les victimes directes de ces dernières, y compris en termes de réparation ? Quelle complémentarité existe-t-il entre la justice internationale et la justice nationale ? La reconnaissance de la gravité des violences sexuelles et basées sur le genre utilisées comme « une arme de guerre » invisibilise-t-elle les mêmes violences perpétrées en temps de paix ?
Toutes ces questions, et bien d’autres, méritent d’être mises, ou remises, sur la table. La lutte contre les violences sexuelles et basées sur le genre nécessite un effort commun, une réflexion universelle, une implication de tous et toutes, issu.es de différentes cultures juridiques, linguistiques, sociales, politiques et religieuses. La route pour la justice, la paix et le respect est longue, faisons la ensemble !