Gaza : l'Afrique du Sud accuse Israël de génocide devant la CIJ - résumé de la procédure

Cet article a été publié dans le cadre du partenariat entre BDIP et la Clinique juridique de Lille - Pôle droit international.

La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Convention contre le génocide), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1948, est le premier instrument international à codifier le crime de génocide. Cette Convention illustre l'engagement de la communauté internationale à ne plus jamais laisser se produire des atrocités telles que celles commises pendant la Seconde guerre mondiale. Elle prévoit notamment des obligations telles que l’interdiction de commettre un génocide, mais également d’empêcher la commission d’un tel crime. Dès lors, tous les États parties à la Convention ont l’obligation positive de prévenir et de punir les crimes de génocide.

Le 29 décembre 2023, l'Afrique du Sud a déposé une requête introductive d’instance devant la Cour internationale de Justice (CIJ) contre Israël pour manquement à ses obligations au titre de la Convention contre le génocide, dénonçant les représailles israéliennes à Gaza après les attaques du Hamas le 7 octobre 2023. Dans sa requête, l’Afrique du Sud faisait également une demande en indication de mesures conservatoires.

Le 26 janvier 2024, la CIJ a rendu une ordonnance dans laquelle elle se prononce sur la demande de l’Afrique du Sud. La Cour considère la requête admissible et donne droit à la quasi-totalité des mesures. Elle reconnaît notamment qu’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé.

Le présent article offre un résumé des principaux arguments des parties et de l’ordonnance de la CIJ.

Les prétentions de l’Afrique du Sud et d'Israël

Les parties ont eu l’occasion de faire valoir leurs prétentions lors des audiences qui se sont déroulées jeudi 11 et vendredi 12 janvier 2024 devant la CIJ. 

Pour fonder ses prétentions, l’Afrique du Sud s’est aidée des rapports portant constatations détaillées de la commission d’enquête indépendante créée par résolution du Conseil des droits de l’Homme. 

S’agissant de l’intention génocidaire, l’Afrique du Sud considère que les déclarations répétées des représentants de l’État israélien telles que les déclarations prononcées par son président, par son premier ministre ainsi que son ministre de la défense, manifestent une intention génocidaire. Pour l’Afrique du Sud, Israel a manqué à son obligation de prévention du génocide que lui impose la Convention en s’abstenant de prévenir et de punir l’incitation directe et publique, par les hauts responsables Israeliens à commettre le génocide. Pour l’Afrique du Sud, l’intention génocidaire ressort de la nature, de la portée et de l’ampleur des attaques militaires d’Israël contre Gaza. En effet, Adila Hassim, avocate de l’Afrique du Sud a déclaré que les habitants de Gaza « sont tués chez eux, dans les endroits où ils cherchent refuge, dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les mosquées, dans les églises ». Elle a ensuite ajouté que les armes utilisées par Israël étaient : « Parmi les bombes les plus grosses et les plus destructrices disponibles ». 

S’agissant des infractions sous jacentes, l’Afrique du Sud considère qu’il y a un génocide notamment en raison des actes commis par l’armée Israélienne dans la bande de Gaza. Ces actes comprennent le meurtre, les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale et la soumission des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence visant à entraîner leur destruction physique. De plus, l’Afrique du Sud considère que la nature des opérations militaires israéliennes à Gaza ne permet pas l’arrivée des services de première nécessité tels que la nourriture ou les médicaments. Aussi, l’Afrique de sud déclare qu’Israël a ravagé de larges zones de Gaza, dont des installations d’approvisionnement en eau et d’assainissement et réseaux électriques réduisant Gaza à l’état de ruines.

La requête de l’Afrique du Sud est soutenue par de nombreux États tels que la Chine, le Brésil, la Malaisie, la Colombie, la Jordanie, la Turquie, le Pakistan, la Namibie, l’Indonésie ou encore l’Iran par déclarations publiques, mais aussi par des organisations non gouvernementales telle que l’Organisation de la coopération islamique. D’autres États et institutions soutiennent quant-à eux l’action et la fonction de la CIJ. C’est le cas de l’Espagne ou de la Commission européenne.

Le lendemain, Israël a lui aussi pu faire valoir ses prétentions. L’État a plaidé la légitime défense. D’après lui, les accusations portées par l’Afrique du Sud sont « profondément déformée » et « dénuées de fondement ».. Malcolm Shaw, avocat d'Israël a déclaré que « les atrocités du Hamas justifient (...) l’exercice du droit légitime et inhérent d’un État à se défendre tel que consacré dans la Charte des Nations Unies ». Il a également expliqué « Israël est engagé dans une guerre de défense contre le Hamas, et non contre le peuple palestinien ». L’État d'Israël a alors expliqué être « dans une guerre qu’il n’a pas déclenchée et qu’il ne voulait pas ».

L’appréciation de la CIJ

La CIJ a rendu son ordonnance relative aux mesures conservatoires le vendredi 26 janvier 2024. Dans cette décision historique, la Cour réaffirme sa position dans l’affaire Myanmar concernant la qualité pour agir d’États tiers et confirme que l'Afrique du Sud a le droit de soumettre le différend l'opposant à Israël. L’Afrique du Sud n’étant pas une victime directe, la question de sa compétence s’est posée. Le crime de génocide est une norme impérative de droit international général qui s’applique erga omnes, c’est à dire à tous les États de la communauté internationale. Elle rappelle que tout État partie à la Convention contre le génocide peut invoquer la responsabilité d’un autre État partie, en cas de manquement aux obligations erga omnes partes découlant de la dite Convention.

De manière significative, la Cour reconnaît également l'existence d'un risque plausible de génocide à Gaza. Elle conclut que les faits et circonstances présentés par l'Afrique du Sud sont suffisants pour conclure que le droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide et les actes prohibés par la Convention dont l’Afrique du Sud sollicite la protection sont plausibles. 

Enfin, elle  considère qu’en raison de l’urgence, il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits des Palestiniens de Gaza et indique six mesures conservatoires. Elle ordonne à Israel de respecter les obligations qui lui incombent au titre de la Convention contre le génocide, et de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission de tout acte entrant dans son champ d’application. L’État d’Israël doit également veiller à ce que son armée ne commette aucun des actes de génocide et doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza. La CIJ lui demande également de prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture d’aide humanitaire. Elle ajoute qu'Israël doit empêcher la destruction et assurer la conservation des éléments de preuves relatifs à des actes génocidaires commis contre les Palestiniens de Gaza. Enfin la Cour a ordonné à Israël de lui soumettre un rapport dans un délai d’un mois sur l’ensemble des mesures adoptées. Elle ne donne cependant pas droit à la demande de l’Afrique du Sud d’ordonner un cessez-le-feu immédiat.

Il semble ici intéressant de relever que le juge Israelien, Aharon Barak, a voté en faveur de deux des mesures conservatoires prononcées par la Cour ; Celle relative à l’aide humanitaire ainsi que l’obligation de prendre des mesures pour prévenir et réprimer l’incitation directe et publique à commettre le génocide. 

Conclusion 

Depuis le 26 janvier, les bombardements indiscriminés à Gaza n’ont cependant pas cessé; et l’accès à une aide humanitaire suffisante n’est toujours pas autorisée. En parallèle, dix pays ont annoncé la suspension de leurs financements à l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), après les accusations d’Israël selon lesquelles des employés pourraient avoir été impliqués dans l’attaque du Hamas le 7 octobre.

Face à l'aggravation de la situation et à l’annonce par Benjamin Netanyahu d’une offensive sur Gaza, l'Afrique du Sud a adressé une lettre à la CIJ le 12 février 2024, sollicitant une évaluation urgente de la nécessité de nouvelles mesures conservatoires. Le 16 février, la CIJ a cependant rejeté la demande au motif que les mesures conservatoires indiquées par la Cour le 26 janvier étaient suffisantes. Elle souligne : cette situation alarmante exige la mise en œuvre immédiate et effective des mesures conservatoires indiquées par la Cour dans son ordonnance du 26 janvier 2024, qui sont applicables à l’ensemble de la bande de Gaza, y compris Rafah, et ne nécessitent pas l’indication de mesures additionnelles.

Au regards des faits nouveaux et de l’évolution de la situation à Gaza, en particulier un risque de famine généralisée, l’Afrique du Sud a de nouveau saisi la CIJ le 6 mars 2024, lui demandant d’indiquer des mesures conservatoires additionnelles et de modifier son ordonnance du 26 janvier 2024 et sa décision du 16 février 2024. 

Ainsi, le 28 mars 2024, la Cour a indiqué les mesures conservatoires additionnelles suivantes : prendre toutes les mesures nécessaires et effectives pour veiller à ce que soit assurée la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence et veiller à ce que son armée ne commette pas d’actes constituant des actes de génocide. Dans son ordonnance, la Cour souligne que, « les conditions désastreuses dans lesquelles vivent les Palestiniens de la bande de Gaza se sont (...) encore détériorées (...)” et insiste sur les conséquences désastreuses de “la privation prolongée et généralisée de nourriture et d’autres produits de première nécessité”.

La procédure devant la CIJ risque de prendre plusieurs années avant de statuer sur le fond de l’affaire, et donc sur l’accusation génocidaire portée par l’Afrique du Sud contre Israël. 

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