Cour pénale internationale : condamnation de Dominic Ongwen à 25 années de prison

Cet article a été publié dans le cadre du partenariat entre BDIP et la Clinique juridique de Lille - Pôle droit international.


Le 6 mai 2021, la Cour pénale internationale (CPI ou la Cour) a condamné Dominic Ongwen à 25 années de prison à la suite du verdict rendu le 4 février (Jugement). La condamnation de Dominic Ongwen marque le début d’une longue lutte afin de faire cesser l’impunité en Ouganda. Au terme de plusieurs années de procès, au sein duquel 4 095 victimes ont été reconnues et ont été entendues [jugement, para. 25], la Chambre de première instance a rendu son verdict. En effet, en tant que commandant ougandais de l’Armée de résistance du seigneur (LRA), Dominic Ongwen a été reconnu coupable au-delà de tout doute raisonnable de 61 chefs d’accusations pour les crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en Ouganda entre le 1er juillet 2002 au 31 décembre 2005 [voir communiqué de presse].

 Le verdict de culpabilité de Dominic Ongwen constitue une avancée importante au sein de la lutte que mène la CPI contre l’impunité, car elle permet de faire la lumière sur les souffrances subies par la population Ougandaise. En effet, des actes ayant entrainé des souffrances extrêmes ont été commis par la LRA face à la rébellion armée qu’elle menait contre le gouvernement ougandais. Elle considérait que tous ceux qui ne la soutenaient pas dans leurs efforts contre le gouvernement devraient être tués [jugement, para. 140]. C’est ainsi que, dès 1978, des populations civiles ont fait l’objet de déplacements dans des camps ou ont été blessées et tuées lors de nombreuses attaques [jugement, para. 143]. Des enfants de moins de 15 ans, quant à eux, ont été enlevés et enrôlés dans l’optique de les faire participer activement aux hostilités [jugement, para. 223]. A également été enlevé et réduit en esclavage un grand nombre de civils, qui a été a utilisé comme esclaves sexuels, prétendues « épouses » et domestiques [jugement, para. 143].

 Il résulte du jugement que Dominic Ongwen a joué un rôle clé dans les souffrances infligées. Au cours de la période concernée par les accusations s’étendant du 1er juillet 2002 au 1er décembre 2005, celui-ci a connu une ascension notable dans la hiérarchie de la LRA, passant ainsi de commandant de bataillon à commandant de la brigade Sinia. Au sein de cette dernière, des centaines de soldats étaient sous son commandement [jugement, paras 128 et 222-225].

 De plus, Dominic Ongwen entretenait une relation particulière avec la LRA car il avait été enlevé par celle-ci en 1987, alors qu’il était âgé de 9 ans [jugement, para. 29]. Ainsi, Dominic Ongwen a passé « toute la période entre son enlèvement et le début de la période pertinente pour les charges (...) dans la LRA » [jugement, para. 31]. Toutefois, la CPI considère que son jeune âge au moment de son enlèvement par la LRA n’était pas pertinent pour les charges en l’espèce [jugement, para. 27].

 En date du 16 décembre 2003, la situation concernant le Nord de l’Ouganda a été renvoyée au Bureau du Procureur de la CPI [jugement, para. 19] sur le fondement de l’article 14(1) du Statut de Rome. Ainsi, le 8 juillet 2005, après avoir conclu qu’il y avait une base raisonnable d’ouvrir une enquête en Ouganda, la Chambre préliminaire II a émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Dominic Ongwen pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre afin de l’arrêter et le remettre à la Cour. Toutefois, il ne sera transféré à la Cour que le 21 janvier 2015 [Fiche d’information sur l’affaire, pp. 1 à 2].

 Le procès de Dominic Ongwen s’est ouvert le 6 décembre 2016. 70 charges ont été retenues à son encontre [Décision de confirmation des charges]. Cependant, ce dernier, niant les faits qui lui ont été reprochés, a plaidé non coupable [Fiche d’information sur l’affaire, p.2]. La fin d’une longue lutte pour permettre une reconnaissance aux victimes s’est alors conclue le 4 février 2021, date à laquelle la Chambre de première instance a rendu son verdict. 

 Ce procès s’illustre par sa singularité. En effet, c’est la première fois qu’une personne comparaît à la fois en tant que victime et en tant qu’auteur présumé de crimes contre l’humanité et crimes de guerre [Noémie Coutrot-Cieslinski, Journée internationale des enfants soldats, p. 1]. Ainsi, la Cour a dû faire face à une situation inédite puisque, pour la première fois, le bourreau qu’elle jugeait était également une victime. Dans cette mesure, la question qui se posait était celle de savoir si la Cour allait prendre en compte, dans l’appréciation de sa responsabilité, cette circonstance particulière. Cela met en exergue la problématique liée à l’enlèvement des enfants soldats et la question de l’impact que cette circonstance pourrait éventuellement avoir sur la responsabilité pénale de Dominic Ongwen. Ainsi, c’est dans cette dualité que réside le dilemme de la décision. En effet, son statut de victime-auteur est-il de nature à l’exonérer de sa responsabilité de commanditaire des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis ? A minima, peut-il constituer une circonstance atténuante de responsabilité ? 

 Il était soutenu par la défense que le statut de victime-auteur de Dominic Ongwen devait permettre à l’accusé d’être exonéré de sa responsabilité [jugement, para. 2672]. En effet, bien que le juge président, Bertram Schmitt, ait déclaré que « la chambre est consciente qu’il a beaucoup souffert » [France24, Ouganda : la CPI juge coupable de crimes de guerre Dominic Ongwen, ex-enfant soldat devenu chef rebelle], il en résulte que dans la décision de la Cour, il y a une rupture nette entre la victimisation de Dominic Ongwen au début de sa vie, et la perpétration de crimes d’une atrocité sans nom commis à l’âge adulte. En effet, la Cour considère que même s’il a été enlevé à un jeune âge et qu’il a connu beaucoup de souffrances durant son enfance, Dominic Ongwen « a commis les crimes pertinents alors qu’il était adulte » [jugement, para. 2672]. Elle affirme également que « le fait d’avoir été victime d’un crime ne constitue pas, en soi, une justification de quelque nature que ce soit pour la commission de crimes similaires ou autres » [jugement, para. 2672].

 Ainsi, la Cour a considéré qu’il n’existait pas de motifs pertinents permettant à Dominic Ongwen d’être exonéré de sa responsabilité. Par conséquent, il devra être jugé pour les crimes qu’il a commis.

 Cette affaire a mis en exergue la problématique liée aux enfants-soldats. En Ouganda, le recrutement d'enfants par les groupes armés est massif et croissant. En effet, il est estimé que plus de 9 000 enfants ont été enlevés et enrôlés par la LRA [UNICEF, Les enfants soldats en Ouganda], forcés à tuer de manière barbare et contraints d’assister à des meurtres brutaux [jugement, para. 129]. Cette pratique était notamment utilisée par Dominic Ongwen lui-même [jugement, para. 223]. En effet, à cet égard, celui-ci a déclaré que « Vous appelez ces enfants des enfants, mais je les appelle mes soldats. Nous parlons donc de mes soldats » [jugement, para. 2408].

 En somme, il était évident que Dominic Ongwen a joué un rôle clé dans la conscription et l’enrôlement de milliers d’enfants, le rendant ainsi coupable du crime de conscription et d'utilisation d'enfants de moins de quinze ans aux fins de les faire participer activement aux hostilités [jugement, para. 3116].  

 De plus, la CPI a également reconnu Dominic Ongwen coupable de 19 chefs d’accusation incluant des crimes sexuels et à caractère sexiste, tel que le mariage forcé, la torture, le viol, l'esclavage sexuel, la réduction en esclavage, la grossesse forcée , ou encore l'atteinte à la dignité de la personne [jugement, para. 3116].

 Cela constitue une étape importante dans l’avancement de la jurisprudence progressiste sur la responsabilité pour les crimes sexuels commis dans les conflits armés [ICTJ, The Ongwen Verdict: A Step Closer To Acknowledgement and Justice For Victims In Northern Uganda], car c’est la première fois que la CPI reconnaît un suspect coupable du crime de grossesse forcée. En effet, comme le rappelle la Cour dans son jugement, l’application de l’article 7(1)(g) du Statut de Rome relatif à l’interdiction de grossesse forcée n’avait été jusqu’à présent jamais été prononcée [jugement, para. 2717]. [Pour une analyse critique, voir l’article du blog : Une analyse féministe du crime de grossesse forcée : les lacunes d’une définition controversée, par Julia Tétrault-Provencher]

 Ainsi, la Chambre a considéré que le crime de grossesse forcée était celui qui se commet lorsqu’une personne a détenu illégalement une ou plusieurs femmes dans l’intention de les rendre enceintes sans leur consentement [jugement, para. 2723]. Cette pratique couramment utilisée par les membres de la LRA a notamment été employée par Dominic Ongwen, lorsque celui-ci décida de séquestrer ses victimes, qui avaient été mises enceintes de force, dans l'intention de soutenir la poursuite de la commission des autres crimes constatés, en particulier le mariage forcé, la torture, le viol et l'esclavage sexuel [jugement, para. 3061].

 Également la Cour a retenu la responsabilité pénale individuelle de Dominic Ongwen, au sens de l’article 25(3)(a) du Statut de Rome en tant qu’auteur direct et coauteur indirect pour avoir ordonné et participé aux attaques lancées contre la population civile, ainsi que pour meurtre, torture, esclavage, atteinte à la dignité de la personne, pillage, destruction de biens et persécutions contre les camps de personnes déplacées [jugement, para. 3116]. En effet, des enfants ont été mis dans des sacs en polyéthylène et battus à mort, d’autres ont été enfermés et brûlés à l’intérieur de leurs huttes, des personnes ont été enlevées et tuées [jugement, para. 1750]. Au regard de la violence inouïe des attaques perpétrées et de l’existence de preuves sur les préparatifs des différentes attaques [jugement, para. 1647]. la Cour a reconnu qu’il y avait une intention claire de la part des membres de la LRA de vouloir commettre ces crimes. Il en résultait alors que Dominic Ongwen avait, conjointement avec d’autres dirigeants de la LRA, ordonné aux soldats de mener ses attaques contre ces camps [jugement, para. 3010], faisant de lui un des hauts commanditaires de ces violences commises.

 Après examen des observations du Procureur, des avocats de Dominic Ongwen et des parties civiles, la Cour a condamné Dominic Ongwen à 25 années de prison.

 En revanche, si aucun appel à l’encontre du verdict n’a encore été interjeté, cette possibilité reste ouverte aux parties jusqu’au 21 mai 2021. Ainsi, il en résulte que, par la singularité de ce procès, la condamnation de Dominic Ongwen constitue un pas important vers une justice pour les victimes de la violence de la LRA. Elle permet également de mettre partiellement fin au climat d’impunité qui règne en Ouganda. Par conséquent, le prononcé de l’affaire Dominic Ongwen pourrait inaugurer un précédent juridique international et ainsi constituer une base jurisprudentielle pour la CPI.

Lucie Barroso, Mathilde Lambert, Miriana Exposito & Eugénie Yameogo

Lucie Barroso

Lucie est étudiante en Master 1 Droit international et Droit européen à l’Université de Lille 2 et est diplômée d’une licence parcours carrières judiciaires et sciences criminelles de l’Université de Poitiers. Dans le cadre de ses études, elle a effectué un échange universitaire à l’Université des Sciences Appliquées de La Haye.  A côté de ses études, elle participe à l’activité de la Clinique juridique de Lille dans son pôle international au sein duquel elle participe au Nuremberg Moot Court. En dehors de ses études, elle renforce ses connaissances à travers des formations supplémentaires. Auparavant, elle a suivi une formation dispensée par l’Université de Stanford relative à la Santé internationale des femmes et des droits de l’homme. Actuellement, elle passe un certificat sur le terrorisme et la lutte anti-terroriste, ainsi que sur la poursuite des crimes internationaux dispensé par l’Université de Leiden.

Mathilde Lambert 

Après avoir effectué ses deux premières années de licence à l’Université de Bordeaux Montesquieu, Mathilde a obtenu sa licence en droit international et européen à l’Université de Kent dans la ville de Canterbury, en Angleterre, dans le cadre du programme d’échange Erasmus. Elle est actuellement en Master 1 Droit international et droit européen à l’Université de Lille et fait partie de la Clinique juridique de Lille au sein du pôle international. Dans le cadre de la Clinique, elle participe au concours de plaidoirie Charles-Rousseau édition 2021. Passionnée par la géopolitique et les conflits internationaux, notamment ceux du Moyen-Orient, elle aimerait poursuivre ses études dans le Master 2 Justice Pénale Internationale. Afin de perfectionner ses connaissances, elle passe un certificat sur le terrorisme et la lutte anti-terroriste avec l’Université de Leiden aux Pays-Bas et suit une formation sur le renseignement avec l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée.

Miriana Exposito

Miriana a débuté son parcours universitaire à l’Université d’Aix-en-Provence, où elle a obtenu une licence générale de droit. En parallèle, elle a validé son Diplôme universitaire de l’Institut de Sciences Pénales et de Criminologie (ISPEC) au sein de la même faculté. Elle a ensuite poursuivi ses études à l’Université de Lille II, en intégrant le Master 1 de droit international et européen. Miriana fait également partie du pôle international de la Clinique juridique de Lille, au sein duquel elle participe à des activités en lien avec la justice pénale internationale. En outre, Miriana a un fort attrait pour la protection des droits et libertés fondamentales. Elle souhaite se spécialiser dans ce domaine au niveau européen, en intégrant le Master 2 droit de l’Union européenne de l’Université de Lille.

Eugénie Yameogo

Eugénie est actuellement en Master 1 de Droit international et Droit européen à l’Université de Lille et est membre de la Clinique juridique de Lille. Depuis toujours intéressée par le droit public et plus précisément par le Droit international, elle a obtenu une double licence en Droit-langues (anglais, allemand) à l’Université de Tours. En dehors de son cursus scolaire, Eugénie a fait partie de nombreuses associations en tant que membre actif : l’association des Jeunes européens de Lille, l’association MUN (Model United Nation) de l’Université de Lille, et elle est partie pendant un mois au Népal pour un projet solidaire avec l’association humanitaire Monde Humain. Elle envisage d’intégrer un Master 2 en Justice pénale internationale, Droit international des Droits de l’Homme ou droit international humanitaire et d’obtenir un diplôme équivalent dans un pays anglophone pour pouvoir par la suite être juriste dans une Organisation internationale ou un Tribunal international.

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